
Les livres nous relient.
Ce site a pour objet d'établir des liens multiples et entrecroisés entre les livres, ceux qui les lisent et ceux qui les écrivent. GB
CHRONIQUES LITTERAIRES - Ouvrages des auteurs de M à R

LE NAUFRAGE DES CIVILISATIONS de Amin MAALOUF. Essai.
Amin Maalouf, écrivain et académicien a publié de nombreux romans (prix Goncourt en 1993) et divers essais.
Amin MAALOUF montre dans ce livre pourquoi les civilisations font naufrage et comment elles entrainent dans leur naufrage la civilisation toute entière… la civilisation… qui est cette capacité des êtres humains à vivre ensemble en bonne harmonie et à mener ensemble le combat pour le progrès moral et intellectuel de l’humanité. Cela revient à dire que si les civilisations venaient à faire naufrage cela serait le retour à la barbarie ! Les causes du naufrage qui a commencé voici plus de cinquante sont des séismes aux multiples épicentres qui, ajoutant les puissances néfastes des uns aux puissances perverses des autres renforcent les effets dévastateurs de chacun. Selon Amin Maalouf, l’un des principaux épicentres, se trouve au Proche et Moyen Orient avec les guerres endémiques et le foyer de l’islamisme radical. Mais il y en a d’autres, comme par exemple…
-
La guerre du Vietnam (1955-1975) avec défaite des U.S.A. provoqué par les Russes
-
La guerre en Afghanistan (1979-1989) avec défaite de la Russie provoqué par les Américains qui ont favorisé l’émergence de ce qui allait devenir le radicalisme islamiste.
-
L’interminable et insoluble conflit entre Israël et Palestine, de 1947 à nos jours.
-
Les chocs pétroliers successifs (1973, 1979, 2008)
-
La première guerre du golfe en 1990 et celles qui ont suivies avec l’Irak et l’Iran
-
Les convoitises économico-politiques avec ingérence politico-militaire des pays dominants notamment tels que les USA, la Russie, la Chine, l’Europe et cela un peu partout dans le monde. Il s’agit d’un néo colonialisme qui ne dit pas son nom.
-
Le fanatisme religieux. L’islam politique est un totalitarisme aves ses bras armés que sont Al Qaïda, l’État Islamique, la mouvance djihadiste entre autres …
-
La xénophobie et les tensions identitaires qui se sont répandues « comme une drogue » avec légitimation des disparités, tensions raciales exacerbées, perte d’unité et de solidarit, morcellement, fractionnement, détestations réciproques
-
L’effondrement du communisme « Tandis que l’utopie communiste sombre dans les abysses, le triomphe du capitalisme s’accompagne du déchaînement obscène des inégalités. » « Lorsque j’essaie de faire le bilan du XXe siècle il m’apparaît qu’il fut le théâtre de deux familles de calamités l’une engendrée par le communisme l’autre par l’anticommunisme. »
-
L’écartèlement de l’État entre sa mission de promotion et de défense du Bien Public et l’économie de marché qui elle défend des intérêts privés. Contrainte d’un côté, liberté de l’autre. La théorie de la « main invisible » dit que les intérêts privés tendent vers l’intérêt collectif sans implication de l’État. « Ne nous sentant plus capables de trouver des solutions adéquates nous voulons croire que celles-ci viendront d’elles-mêmes, comme par miracle et qu’il suffit d’avoir foi dans la main invisible du ciel ou du destin. Ce qui ne présage rien de rassurant pour les décennies à venir. »
Ce livre est à lire d’urgence par tous ceux et celles qui cherchent à comprendre l’humanité et qui veulent la sauver du naufrage. Vaste programme … mais chacun peut et doit faire ce qu’il peut pour éviter la catastrophe annoncée. Aurons nous la force d’âme de nous ressaisir et de redresser le cap avant qu’il ne soit trop tard ? écrit Amin Maalouf

Peter MATTHIESEN, « Le Léopard des neiges », récit de voyage.
Peter MATTHIESEN (1927-2014) Américain. Défenseur actif de l’environnement. Pratiquant fervent du Bouddhisme zen.» Les critiques s’accordent à dire qu’aucun écrivain n’a su parler avec autant de lyrisme que lui de son expérience spirituelle des sommets et des océans. Son livre « Blue Water White Death » a été la source d’inspiration du roman de Peter Benchley paru en 1974 « Les Dents de la mer.»
Que nous dit ce livre ?
L’auteur et le zoologiste Peter Schaller font un périple à pied de plusieurs mois dans l’Himalaya pour étudier les bharals « Le bharal n’est ni un mouton ni une chèvre mais une espèce très proche de l’animal primitif ancêtre à la fois d’Ovis et de Capra qui vivait il y a vingt millions d’années et qui a l’apparence d’une chèvre » et aussi (et peut être surtout) pour observer le léopard des neiges, animal secret presque aussi mythique que le yéti. Récit de voyage et d’aventure ce livre est aussi un livre philosophique (quête de la vérité sur le monde, sur les autres, sur soi) et un livre poétique (quête de la beauté des choses et des êtres) Il montre les dangers permanents auxquels l’homme se confronte soit par hasard soit par nécessité. Il montre aussi la différence qu’il y a entre la vie précaire du voyageur et celle de l’autochtone. Pour le premier les difficultés sont temporaires pour les seconds elles sont pérennes. « Un jour les hommes se lasseront de tirer une si maigre subsistance de ces hauts plateaux glacés et les derniers vestiges de l’ancienne culture tibétaine disparaîtront au milieu des pierres et des ruines. »
Pourquoi lire ce livre ?
C’est une aventure humaine qui se déroule dans le cadre somptueux et grandiose de l’Himalaya - dépaysement assuré - mais qui peut se transposer dans n’importe quel cadre naturel. C’est une aventure qui implique l’homme dans sa totalité : corps, esprit, âme, une aventure qui montre l’homme dans sa connexion à la nature, aux autres humains et à tous les êtres vivants avec son désir de rencontres et de connaissance.
Le descriptif des sites, des paysages des chemins, des sentiers devient le descriptif d’un parcours de vie. On comprend que la vie des voyageurs se trouve dans chacun de leurs pas dans chacune de leur respiration. Il faut lire ce livre pour ce type de phrases qui disent aussi bien le monde enchanté que le monde sombre : « L’enfant n’observait pas : il était en paix au cœur de l’univers, chose parmi les choses, inconscient des commencements et des fins encore à l’unisson de la création primordiale se laissant traverser par tous les phénomènes, toute la lumière. » « Pourquoi la nature consacre-t-elle, tant de siècles à la sélection naturelle de ces caractères destinés à favoriser les collisions frontales plutôt que l’intelligence. » « Avez vous vu le léopard des neiges ? Non ! N’est-ce pas merveilleux ? » Cette dernière citation nous renvoie à une scène du film de Ben Stiller « La vie rêvée de Walter Mitty. » Dans cette scène l’acteur Sean Penn joue le rôle d’un photographe qui après une traque épuisante se trouve enfin face au léopard des neiges. Saisi par la beauté de l’animal il ne le photographie pas car il sait que la photographie représentant le léopard des neiges serait tout sauf sa beauté et sa vérité. En montrant l’image de l’animal il le trahirait et le dénaturerait. Ce livre est à lire d’urgence par tous ceux qui veulent percevoir la nature avec des yeux de philosophes et de poètes : des yeux humains en somme.

SILENCE DU CHŒUR de Mohamed MBOUGAR SARR, roman
Mohamed MBOUGAR SARR est un écrivain de 27 ans. Sénégalais d’expression française. Il a déjà été distingué par de nombreux prix littéraires.
Pourquoi parler d’un second livre de ce jeune écrivain ? Parce que « l’immigration » est un sujet à la mode ? Assurément pas ! La mode est ce qui passe alors que ce dont ce livre traite est éternel. L’auteur nous pose le problème frontalement : faut-il accueillir ou fermer sa porte (ses frontières) à l’étranger ? Faut-il accepter ou rejeter l’Autre ? Veut-on construire une humanité exclusivement entre autochtones ou au contraire avec les allochtones et cela quelles que soient leurs origines ? De la solution que chacun d’entre nous cherche et trouve ou ne cherche pas et donc ne trouve pas dépend le visage de l’humanité de demain
Ce roman raconte l’histoire d’un groupe de soixante-douze migrants qui débarquent sans préavis dans un village Sicilien dominé par l’Etna. On découvre dans le récit les épreuves qu’ils affrontent pour être accueillis et acceptés et aussi les raisons de leur exil (la guerre, le totalitarisme religieux, les humiliations, les menaces de mort.) S’ils sont là ce n’est pas par choix mais parce que là d’où ils viennent, vivre est devenu impossible pour eux. Le habitants du village leur offriront-ils une nouvelle vie ?
Deux clans s’opposent. Celui du courage et de la compassion et celui de la peur et de la haine.
Le courage et la compassion.
« Bienvenue en Italie ! Bienvenue à Altino ! Ici vous êtes en sécurité ! La peur est finie ! »
« Être accueilli c’est se voir offrir autre chose que l’hospitalité […] tous les hommes ont besoin de raisons de vivre plus profondes. »
La peur et la haine
« Oui la Sicile est une terre de passage mais on ne l’a jamais volé à ses fils. […] Qu’ils le veuillent ou non les migrants nous volent notre travail, notre dignité, notre fierté, notre vie. » « On est chez nous ! Ils nous envahissent ! Halte au chantage à la détresse humaine ! Ils sont sales, ils empuantissent… »
Lorsqu’il y a des dégradations ce clan accuse les « migrants » et aussitôt se venge « Des sacs de poissons morts ou de viande pourrie commencèrent à être déposés devant leur logement. » Lorsque pour la première fois dans l’histoire du village il y a des meurtres et des viols, le clan, sans la moindre preuve ni la moindre enquête, s’apprête à les exterminer. « Ces sauvages d’immigrés violent et tuent. Si le Maire ne veut pas nous défendre et les arrêter, nous irons les combattre nous-mêmes. »
Ce livre qui se lit comme un thriller décrit le combat que se livrent les partisans de l’accueil et les partisans du rejet avec pour enjeu le bonheur ou le malheur des étrangers. Tous se battent avec la certitude qu’ils ont raison ! Deux « personnages » symboliques qu’on voit peu mais qu’on sent présents tout au long de l’histoire, l’Etna et une statue de la déesse Athéna, s’invitent à la fin et, en imposant leur présence, ils nous aident à comprendre à quel point les hommes sont petits et absurdes leurs dissensions. Ces deux entités qui depuis toujours font partie du « village » montrent que la peur engendre la haine et que la haine est à l’origine de l’immense souffrance des Hommes.

TERRE CEINTE de Mohamed MBOUGAR SARR, roman
Mohamed MBOUGAR SARR est un jeune écrivain de 27 ans. Sénégalais d’expression française.
Ce livre sur le totalitarisme religieux (l’islam radical) montre les horreurs d’une société où la folie des hommes assujettis à une croyance fait régner la terreur. Dans la ville de Kalep la religion est plus prégnante et puissante que la politique. Un parti religieux totalitaire y fait régner l’ordre donc la terreur. Ce parti se fait cyniquement appeler « La Fraternité ». À Kalep il y a trois catégories de citoyens : ceux qui adhèrent, ceux qui se soumettent, ceux qui se rebellent.
L’histoire commence par l’exécution d’un couple de deux jeunes gens (18 et 20 ans) « coupables » d’avoir fait l’amour sans être mariés. Par la suite il y aura, rythmant le livre, des lettres poignantes échangées entre les deux mères de ces jeunes gens assassinés après avoir été torturés. Un second rythme est celui de l’organisation souterraine de la résistance. Sept personnes se réunissent dans une cave pour écrire et imprimer un journal clandestin. Un troisième rythme est celui qui s’appuyant sur les faits concrets montre ce que peuvent la solidarité et l’amour opposés à la violence. À noter encore le contraste entre l’immuabilité indifférente des paysages face aux tourments des hommes en perpétuel mouvement. L’entrecroisement de ces rythmes donne au livre un souffle plein de force et d’énergie ce qui est le propre de toute bonne littérature, une littérature qui exprime la vie avec émotion et sens.
Jamais ce livre ne cède à la facilité de la mise en scène spectaculaire. La violence est souvent exposée frontalement mais le lecteur n’est jamais pris pour un voyeuriste, il est toujours sollicité en tant que témoin. Au lecteur de choisir son camp entre collaboration et résistance comme doit le faire chaque habitant de la ville terrorisée. Propre à tous les régimes totalitaires qu’ils soient religieux ou politiques cette folie se fonde sur un principe au demeurant simple : ce n’est pas le concept qui s’adapte à l’homme, c’est l’homme qui doit se plier à la rigidité du concept. Ce n’est pas l’existence qui prime mais une « essence » jaillie magiquement de la croyance et non logiquement de la connaissance. Depuis l’origine des temps, ce principe essentialiste a fait des millions voire des milliards de victimes partout dans le monde. Même ceux qui croient en Dieu - et qui ont le droit d’y croire - (ici les musulmans) ne connaissent pas toutes les subtilités des lois inapplicables que les fanatiques appliquent et qui les condamnent à court ou moyen terme. Dans les quelques lignes qui suivent l’auteur nous dit ce qui fonde son livre et qui devrait fonder tous les livres dignes de ce nom « Le fait d’écrire librement porte en lui un irrépressible déploiement de l’intelligence. Écrire hors de l’idéologie c’est avoir été le théâtre du mouvement ininterrompu et libre du mouvement de l’intelligence qui sourd dans le geste de l’écriture, alors précisément que l’idéologie est la négation de ce mouvement de l’intelligence qui, à ses yeux, doit tourner en rond dans le cadre qu’elle a établi ou n’être pas c’est à dire d’être supprimée dans tous les sens du terme. » TERRE CEINTE est un livre salutaire à lire d’urgence.

MANIFESTE POUR L’AUTONOMADIE de Franck MICHEL, essai
Anthropologue du voyage Franck MICHEL est un nomade. Il vit un peu à Strasbourg, un peu à Bali et … beaucoup dans le monde entier. Il décrypte les mobilités contemporaines. Il travaille principalement sur les cultures et l'histoire de l'Asie du Sud-Est. Ses principaux terrains d'investigation sont l'Indonésie, le Vietnam, le Cambodge, la Thaïlande et aussi le Brésil. Par la pratique du voyage et la réflexion sur le métissage il construit des ponts entre l'Orient et l'Occident.
Autonomadie est un joyeux jeu de mot qui défend le voyage libre contre les assauts du tragique et aliénant jeu de mode qu’est le tourisme marchand et indirectement contre la sédentarité sclérosante. Ce livre « à vocation hédoniste et libertaire » est bien plus qu’un livre sur le voyage dans le monde c’est un livre sur le voyage, sur le monde et sur la vie.
-
Il traite de la liberté et de l’égalité mais aussi du respect de l’autre et donc de la fraternité.
-
Il nous dit que la connaissance du patrimoine et donc de notre histoire est vitale mais que malheureusement, ce patrimoine est instrumentalisé et exploité à des fins mercantiles.
-
Il nous dit encore qu’un pays se crée continûment grâce au flux des populations migrantes et que l’identité de chaque pays ne peut être, de ce fait, qu’en évolution et en mutation constantes.
-
La culture ne nous est jamais donnée, c’est nous qui la construisons. Elle Ce mouvement quotidien en perpétuelle évolution est le meilleur des remparts contre le communautarisme.
-
Il nous éclaire sur la situation tragique de certains peuples mais aussi sur le bonheur de ceux qui ont su
-
La liberté fonde ce livre. De Victor Hugo : Il faut ajouter… comme un arbre qui s’égraine et qui essaime pour que croissent d’autres arbres libertaires.
-
Un autre socle solide de l’auteur : l’utopie. Il ne faut pas avoir peur de ce mot, antidote du fatalisme, du renoncement et en définitive de l’asservissement (à l’économie et aux idées toutes faites.)
Dans ce livre, Franck Michel nous fait prendre conscience que le voyage et la vie (le voyage de la vie) doivent répondre l’un et l’autre à la même exigence de liberté et de connaissance, connaissance du monde et des autres. Le voyage ne doit pas être un objet de consommation mais un mode de vie qui ouvre sur la nature sur le « vert et l’air » et enfin sur les autres avec lesquels nous construisons le monde.
« Vivre et revivre et ne plus survivre » est le titre d’un des derniers chapitres du livre. Un vaste, beau et indispensable programme. On peut le faire il faut s’en donner les moyens. Pour éclairer notre monde parfois si sombre il nous invite à « éteindre les appareils et rallumer les étoiles »

Pierre MICHON, LE ROI VIENT QUAND IL VEUT, propos sur la littérature.
L’auteur et son œuvre
Né en 1945 Pierre Michon fait des études de lettres puis un peu de théâtre et se tourne définitivement vers l’écriture. Reconnu comme écrivain de premier plan depuis 1984 avec « Les vies minuscules. » En 2009 pour son roman « Les onze « Pierre Michon reçoit le Grand prix de l’Académie française. » Il est aujourd’hui l’un des plus grands écrivains français.
Le contenu
Dans « Le roi vient quand il veut » Pierre Michon s’interroge sur les raisons pour lesquelles Victor Hugo exilé à Jersey dialogue avec des « personnes remarquables : Shakespeare, Galilée, l’Océan, l’Ombre du sépulcre, le Roman, Annibal, Léopoldine, Moïse, Chateaubriand, Jésus-Christ, la Mort. » Il émet plusieurs hypothèses : le chagrin, la recherche de la joie, la quête de la beauté et très certainement « parce qu’il préfère s’entretenir avec des morts compétents qu’avec des imbéciles vivants. » Voici qui met la barre assez haute pour l’écriture, pour la lecture et pour les relations sociales quotidiennes. !!!
L’art d’écrire c’est…
La passion : « c’est la fabrique émotionnelle : je veux écrire dans ce tremblement, comme un fil-de fériste sur sa corde. Et j’aimerais que le lecteur tremble comme moi sur cette petite longueur de corde.»
Le doute « J’aime faire trembler le sens et trembler moi-même de le perdre. L’hésitation est bien évocatrice que l’affirmation. »
La profondeur « Faulkner disait que nous disposons d’un territoire pas plus grand qu’un timbre-poste et ce qui importe ce n’est pas sa superficie mais la profondeur à laquelle on le creuse. »
La vérité et le mensonge « […] tout le langage et en particulier la littérature qui est comme l’âme du langage, ment comme un arracheur de dents. Mais celui à qui on arrache la dent doit croire aveuglément les paroles du charlatan car son soulagement, sa paix, sa jouissance sont à ce prix. » L’écrivain est celui qui a le talent de faire croire.
La beauté « À mes yeux le vieux concept périmé de beauté conserve en art une valeur pertinente. »
Pourquoi lire Pierre Michon
Cet essai sur la littérature montre ce qu’est la littérature et quel est son degré d’exigence. Il faut lire ce livre pour comprendre ce qu’est la littérature. Mais on peut lire d’autres livres de cet auteur. « Les vies minuscules » (1984.) Comme l’indique le titre il s’agit d’une série de portraits de personnes anonymes, en apparence sans grand relief, mais qui prennent vie, suscitent notre intérêt et nous accompagnent dans notre propre vie minuscule.
« Les onze » (2009) Évocation de la révolution française à travers la description d’un tableau fictif d’un peintre fictif lui aussi. Ce tableau représente les onze membres du Comité de salut public qui eux sont bien réels. Ce livre est un chef d’œuvre de précision dans la description des personnages et de l’histoire de notre histoire.

Le temps est venu de changer de civilisation d’Edgar MORIN, essai
Edgard Morin est un sociologue, politologue et philosophe né en 1921. Il s'intéresse de près au processus de la mondialisation et à toutes les relations internationales.
Il nous dit que la science la technologie, l’économie gouvernent le monde. Selon lui, deux catastrophes nous menacent l’une est à la fois écologique, économique et sociétale l’autre concerne la morale et l’intelligence humaine qui se dégradent au fur et à mesure que l’intelligence artificielle et la robotisation progressent.
Prenant position sur le conflit israélo-palestinien, il déplore que les juifs d'Israël, descendants des victimes de l’holocauste, se comportent comme un peuple oppresseur
Dans « Le temps est venu de changer de civilisation » Edgard Morin dialogue avec Denis Lafay. Voici les principaux sujets abordés dans cet ouvrage.
L’état de la société
« C’est l’humanité qui traverse une crise planétaire [… ]elle partage les mêmes périls écologiques ou économiques, les mêmes dangers provoqués par le fanatisme religieux ou l’arme nucléaire. Cette réalité devrait générer une prise de conscience collective : et donc souder, solidariser hybrider. Or l’inverse domine on se recroqueville , on se dissocie [… ]. » « Le comportement des grandes nations du monde a contribué activement à l’émergence d’Al Qaeda hier et de l’État islamique aujourd’hui, [… ] »
La complexité
Edgard Morin explique que le monde est complexe parce que tout est « tissé ensemble.» On doit travailler sur chaque élément de cette « complexité » d’ensemble pour avoir une chance de comprendre le monde et de le pacifier.
L’humanisme
« Le seul véritable antidote à la tentation barbare a pour nom humanisme. [… ] Sans cette reconnaissance d’autrui [… ] sans ce sens de l’autre que Montaigne a si bien exprimé en affirmant « voir en tout homme un compatriote », nous sommes tous de potentiels barbares. »
L’islam
Il a fallu des siècles à la religion catholique pour devenir tolérante et pacifique. La religion musulmane victime de tous les excès que l’on sait (fanatisme, non respect des lois de la République, terrorisme… ) doit suivre elle aussi le chemin des réformes pour s’intégrer dans la société.
L’immigration
« La France est [… ]le fruit d’une mosaïque de cultures et ce qui était valable avec l’hybridation avant-hier des peuples breton, basque, alsacien, hier des Italiens, des Polonais ou des Portugais, l’est pleinement aujourd’hui avec les Marocains, les Algériens, les Cambodgiens, ou les Turcs. »
La régénération politique
Elle passe par des « processus infrapolitiques et suprapolitiques » collectifs autrement dit par des groupements de citoyens qui, conscients de leurs « responsabilités individuelles », veulent réhumaniser les rapports sociaux et humains en deux mots : sauver l’humanité ! Ambition démesurée sans doute mais … ce projet serait réaliste si, comme le colibri en lutte contre l’incendie « chacun faisait sa part !
Ce livre bref mais dense porte un regard lucide sur quelques points cruciaux de l’état de notre civilisation. À lire d’urgence.

KAFKA SUR LE RIVAGE de Haruki MURAKAMI
Harukami MURAKAMI est né en 1949. Il a enseigné la littérature au Japon et aux États-Unis. Auteur réaliste, il éclaire et interroge le banal quotidien en ponctuant ses histoires, sans les alourdir, d’analyses sociales et philosophiques. Ses récits évoluent souvent dans un univers onirique et fantastique. Avec une douzaine de prix littéraires c’est l’un des auteurs japonais les plus lus au monde.
L’histoire se déroule au Japon dans les années 1990. Kafka Tamura, un adolescent fugueur âgé de quinze ans se rend dans l’île de Shikoku « sans raison particulière. » Environ cinquante ans plus tôt, des écoliers perdent connaissance en pleine nature là encore sans raison particulière. Tous les enfants se réveillent indemnes sauf l’un d’entre eux qui se réveillent des années plus tard. Selon les critères habituels c’est un déficient mental mais il a des pouvoirs étonnants. « Il ne savait pas lire […] Il était revenu dans le monde ordinaire la tête complétement vide, pareil à une feuille blanche. »
Ces deux récits qui se développent en parallèle sont comme deux troncs d’un même arbre d’où part une arborescence foisonnante d’autres histoires qui concernent tous ceux et celles que les deux personnages rencontrent et dont l’existence influe sur la leur et réciproquement bien sûr.
Le lecteur se laisse embarquer dans ce foisonnement tourbillonnant où le réel se fracture, où il fluctue et évolue constamment entre la réalité, le rêve et la métaphore et où, jusqu’au dénouement, il cherche le lien entre tous les événements et tous les personnages ainsi que la convergence de tous et de toutes vers un point commun, point commun qui pourrait bien être le sens ou le non sens de la vie que chacun cherche.
Il y a dans ce roman un fugueur, un handicapé génial, un routier sympa, une bibliothécaire mélancolique, un père assassiné mais aussi le syndrome d’Œdipe, un ermitage, une forêt labyrinthique, une pierre magique, la chanson « Kafka sur le rivage » que Kafka Tamura passe en boucle. Ce roman picaresque parfois philosophique et poétique met en lumière les difficultés de vivre et les différentes manières de surmonter ces difficultés.
« Sous l’implacable emprise du quotidien, beaucoup de préoccupations autrefois si chères à nos cœurs disparaissent de nos consciences comme des étoiles mortes. »
« […] Ce qui n’est pas indispensable n’a pas besoin d’exister. Ce qui a un rôle à jouer doit exister. »
« […] Je suis délivré du sortilège. Je suis de nouveau moi-même. […] Je me concentre que la traversée de la forêt. Ne pas perdre le sentier de vue, c’est cela le plus important
Doivent lire ce livre tous les amateurs d’aventures qui acceptent de se laisser surprendre et déranger par l’ÉTRANGETÉ qui vient éclairer le monde réel sous des angles divers et qui, en définitive, le fait mieux comprendre. Et cela comme un « […] explorateur solitaire qui perdu sa boussole et sa carte. »

Guillaume MUSSO, « Que serais-je sans toi », roman.
L’auteur et son œuvre
L’un des auteurs le plus lu en France. Né en 1974 il a été enseignant en sciences économiques de 1999 à 2003 puis « auteur à succès. »
Le contenu de « Que serais-je sans toi. »
Les écrivains de talent ont la capacité de transcender le banal et de transformer l’ordinaire en extraordinaire. Ce n’est pas le cas de Guillaume Musso. Les histoires que racontent Musso sont banales et le demeirent. Rien ne vient les illuminer pour les sortir de la banalité sauf pour ceux et celles qui prennent des « quinquets de taverne » pour des étoiles. Dans ce livre, Musso tire les ficelles du vieux choix cornélien. (Chez Corneille, Rodrigue amoureux de Chimène doit tuer le père de celle-ci. Soit il préserve son amour et son bonheur, soit il manque à son devoir.) Dans le livre de Musso, la fille dont le policier est amoureux est la fille du criminel qu’il pourchasse. À titre d’exemple voici un extrait du poème d’Aragon auquel Musso emprunte le titre pour son roman et, en regard un texte de Musso.
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre/Que serais-je sans toi qu'un cœur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre /Que serais-je sans toi que ce balbutiement.
Voici le début du texte de Musso.
Ils s’aiment./D’un amour dans le sang. /D’une ivresse permanente./Dans l’instant et l’éternité./Et en même temps la peur est partout./La peur du manque. /La peur de se retrouver sans oxygène. /C’est l’évidence et la confusion.
Aragon crée une ouverture sur l’horizon. Musso enroule l’histoire sur elle-même et n’offre aucune perspective. Pourtant tous deux parlent d’amour.
Pourquoi lire Guillaume Musso ?
La littérature a pour principal objet d’aider le lecteur à sortir de chez lui (et de lui-même) pour voir autre chose, pour mieux percevoir et en définitive pour mieux vivre. La littérature de Musso maintient le lecteur chez lui, dans la routine et le « lieu commun. » Certes, mieux vaut lire Guillaume Musso que ne rien lire du tout… peut-être… mais le lire c’est comprendre très vite qu’on ne peut pas (en) rester là et qu’il faut lire autre chose. Qui a la curiosité de lire d’autres auteurs, qu’ils soient anciens ou contemporains, comprend que la littérature, par son contenu et par son style élève le lecteur, alors que chez Guillaume Mussso elle stagne et fait stagner tant , la forme et le fond sont indigents. Quelqu’un a dit de la poésie que c’était l’art de « se faire rencontrer des mots qui ne se connaissent pas. » Chez Guillaume Musso tous les mots se connaissent et ne cherchent surtout pas à en connaître d’autres.

Marie NDIAYE « TROIS FEMMES PUISSSANTES », roman.
L’auteur
Marie NDIAYE née en 1967, femme de lettres française, prix Fémina en 2001 pour « Rosie Carpe » ; prix Goncourt en 2009 pour « Trois femmes puissantes. » Elle quitte la France à l’arrivée de Sarkozy au pouvoir et s’installe eu Allemagne avec son mari et ses trois enfants. Fustigée par certains, soutenue par d’autres, le départ de cet écrivain de renom fait scandale Partie en Allemagne pour des raisons politiques elle y reste après le retour de la gauche au pouvoir pour des raisons pratiques : insertion sociale de sa famille, études de ses enfants. Sa mère est française Elle n’a rencontré son père sénégalais reparti en Afrique alors qu’elle avait un an, qu’une fois devenue adulte.
Le contenu et la forme
Trois récits différents composent ce livre. Le premier raconte les liens difficiles voire impossibles entre une fille (Norah) et son père omnipotent qui lui ment. Dans le second c’est une femme (Fanta) qui cherche à se libérer d’un homme égocentré qu’elle n’aime plus. L’une et l’autre sont un peu perdus et ne savent pas où ils en sont dans leur relation. La troisième histoire est celle de Khady orpheline et stérile (donc déliée de la filiation) en lutte contre la bêtise, la pauvreté et le sordide. Le style « puissant » à la fois descriptif et évocateur de Marie Ndiaye est à la hauteur de la « puissance » de ses trois héroïnes. » Ces trois femmes qui se confrontent à des problèmes existentiels lourds font peser sur le lecteur le poids de leurs difficultés. On se demande si l’énergie de ces femmes (donc la nôtre) est suffisante pour nous extraire du bourbier de la vie afin de marcher sereins sur tous les chemins même les plus scabreux.
Pourquoi lire TROIS FEMMES PUISSSANTES
Il faut lire ce livre pour sa complexité tant dans le fond que dans la forme, parce que le plaisir et la richesse de lire se trouvent parfois au bout de l’effort de lire.
« Tout lecteur doit apprendre à se méfier de la douceur en littérature […] Je donne parfois à mes phrases une […] apparence convenable et appliquée dans un contexte qui, lui, n’est pas normal, qui peut même être scandaleux, afin que le contraste soit déstabilisant et qu’on ne sache plus trop ce qui est à l’origine du sentiment de révolte : le contexte en lui-même ou la coloration du style », écrit Marie Ndiaye.
Il faut lire ce livre difficile … pour en lire un autre plus facile aux colorations optimistes.
« LA TRESSE de Laetitia COLOMBANI » Ce livre raconte lui aussi une belle histoire de trois femmes.

ENTRE DEUX MONDES de NOREK Olivier
Né en 1975, engagé dans l’humanitaire puis lieutenant de police (actuellement en disponibilité) Olivier NOREK est écrivain et scénariste.
Ce livre raconte l’histoire d’un rêve qui commence en Syrie qui devient un cauchemar à Calais et qui, d’une manière toute relative, s’apaise un peu plus tard. Aucun des protagonistes ou des témoins de ce cauchemar ne s’en sortira indemne.
Rien ne nous est épargné dans ce récit qui relate le parcours des migrants : cynisme et inhumanité des passeurs, conflits entre les migrants de diverses nationalités, misère matérielle et morale des populations déplacées, enfance malmenée par des adultes privés de repères moraux, population sans scrupule et sans loi autre que celle de la jungle, problèmes souvent insolubles des policiers en charge d’appliquer la loi et qui deviennent très vite hors la loi dés qu’ils veulent venir en aide aux personnes en danger et enfin difficultés extrêmes de voisinage entre les habitants de la ville qui vivent de manière structurée et les habitants d’une jungle sans structure.
Même démantelée, la jungle de Calais pourrait bien être l’autre nom de l’enfer. C’est là qu’un enfant échappé à la mort tente de survivre, un enfant de passage « Entre deux mondes », l’ancien monde qu’il fuit et le nouveau qu’il cherche
Il s’agit ici d’un roman noir à suspens qui nous pose la triple question de l’origine du mal, de sa propagation et de notre incapacité à l’endiguer et à l’éradiquer.
C’est l’histoire d’êtres humains qui tentent de survivre dans un espace qui n’est pas un pays, dans un monde qui n’est pas le monde et dans un temps hors du temps.
Il faut lire ce livre pour mieux comprendre ce à quoi se confrontent les exilés qu’ils soient en situation légale ou illégale, qu’ils soient migrants de passage ou demandeurs d’asile en attente du statut de réfugiés.
Devant tant de malheurs dont ce livre nous fait prendre conscience des mots viennent à l’esprit. On pense au secours qu’on doit porter à toute personne en danger mais aussi à la compassion, à la sollicitude, à la bienveillance. Tous ces mots devraient se traduire en acte sans céder à la tentation de l’angélisme ou inversement à celle de la peur et du rejet.
Aucun livre sur le thème des migrations qu’il soit roman, essai ou témoignage ne peut apporter de solution mais chacun à sa manière, et celui-ci ne fait exception, contribue à une meilleure connaissance du problème. Or, nous savons tous que pour résoudre un problème il faut d’abord bien comprendre son énoncé.

LA TOMBE DES LUCIOLES de NOSAKA Akiyuki
NOSAKA Akiyuki (1930-2015) romancier, chanteur, parolier japonais.
Cette histoire est inspirée de ce que l’auteur a lui même vécu en 1945 au Japon alors qu’il avait quatorze ans. Jeune et fervent nationaliste japonais, il savait que le Japon allait perdre la guerre et que lui risquait de perdre la vie. Cela l’humiliait et le terrifiait.
Ce très court roman nous montre l’horreur de la guerre, la beauté du monde, la laideur de l’indifférence, les vertus de la fraternité. Tout le monde connaît déjà cela par cœur ! Alors à quoi bon écrire une poignée de pages de plus sur ces sujets ? Parce que rien n’est statique et que tout bouge. La laideur, la beauté, l’indifférence, la haine, la fraternité ne sont jamais les mêmes. Elles changent selon les circonstances et à chaque fois elles nous donnent des enseignements différents. Différents et éminemment utiles. Par ailleurs, toute voix est unique et celle de Nosaka est à entendre. Un livre de plus n’est jamais un livre de trop.
C’est l’histoire de deux jeunes enfants qui se retrouvent seuls, sans parents et sans aide, en pleine guerre. Ils ont le désir de vivre chevillé à l’âme et au corps. Le grand frère doit se protéger lui et sa petite sœur des bombes qui pleuvent sur eux, il doit chercher de quoi manger, et cela dans l’indifférence générale ; c’est peut-être cette indifférence qui le fait le plus souffrir. On assiste à la descente en enfer de ces deux enfants abandonnés. Cet enfer n’est rien d’autre que la terre que les hommes haineux pilonnent, incendient et désertifient.
.
« Y avait à peine deux mois maman leur cuisait des pêches dans du sucre. […] Et lui qui refusait de manger […] parce que c’était trop sucré à son goût […] l’heure était donc venue pour Seita de s’élancer au milieu de l’épouvantable cacophonie mêlée de sifflements de bombes […] de ramasser des vêtements susceptibles d’être troqués contre du riz […] la nuit venue il partait en maraude dans les champs de patate. »
Au milieu de toute cette noirceur : les lucioles !!! Ces minuscules insectes porteurs de lumière symbolisent paradoxalement autant la mort que la vie. Les bombes éclatantes lâchées par les bombardiers représentent la mort. Les étoiles dont on pourrait dire que les lucioles sont les filles représentent la vie et tous les rêve qui la fécondent.
Se dégage de cette histoire à la fois sombre et lumineuse un élan vital qui nous fait dire qu’un jour ou l’autre les enfants retrouveront le bonheur. Quand l’enfant creuse la tombe des lucioles c’est pour y enfouir la haine et faire pousser l’amour.
Il y a des livres de mille pages qui n’en disent pas plus sur l’humanité que ce livre de cinquante pages. Ce petit livre est un grand livre.

OGAWA Ito La papèterie Tsubaki
Née en 1973 OGAWA Ito est Japonaise. Elle a écrit plusieurs romans dont trois ont été traduits en français et publiés aux Éditions Picquier.
À l’époque de l’évènementiel, du sensationnel, de l’exceptionnel de « l’absolument fantastique » de la gesticulation, de la fureur, du bruit et du spectaculaire généralisé, comment conseiller la lecture d’un livre paisible fait de calme, de silence, de paroles échangées et… où on a l’impression qu’il ne se passe presque rien ? Tout simplement en disant que cette impression est fausse parce que c’est dans ce « presque rien » auquel on doit être attentif que le tout de la vie se tient.
La jeune Hatoko a hérité deux biens de sa grand-mère qui l’a élevée : la librairie Tsubaki et la fonction d’écrivain public.
La librairie (et par extension la ville de Kamakura et ses environs) est le lieu de toutes les rencontres et de grands moments de vie partagée. Dans la librairie on vient visiter Hatoko, faire ses courses et, aussi bien sûr passer commande pour des textes à écrire.
L’auteur parle avec bonheur de son travail d’écrivain public et tous les objets qui lui sont nécessaires pour adapter son écriture, autant dans la forme que dans le fond, au destinataire, au commanditaire et bien sûr au sujet à traiter. Elle choisit minutieusement son papier, son pinceau (ou son stylo) son enveloppe, son encre en fonction des lettres qu’elle a à écrire qui sont toutes de nature différente. Quoi de commun, en effet entre une lettre de remerciements, de condoléances, d’amour, d’amitié, de divorce ? Choisir son matériel et adapter son écriture demande une compétence technique mais aussi une grande finesse relationnelle. C’est cette finesse dans les relations qui irrigue en grande partie toute l’histoire. Le roman montre, en outre, que l’extraordinaire se cache dans l’ordinaire, l’exceptionnel dans le banal, la lumière dans l’opacité et que les gestes du quotidien de même que les mots échangés sont des chefs d’œuvre en soi puisqu’ils expriment la vie et le bonheur qu’il y a à vivre ensemble.
On peut ouvrir ce livre à n’importe quel page on trouvera toujours ce « presque rien » qui vibre et qui est le tout de la vie. Il nous renvoie à nos propres actes et à nos propres mots avec la question pérenne de savoir si, au delà des apparences et des illusions, ce que nous disons et faisons, contribue à mieux vivre … et à mieux vivre ensemble.
Quelques citations significatives…
« J’ai senti quelque chose bruire en moi, s’agiter […] le remue ménage n’était pas dans mon ventre mais dans mon cœur. On aurait dit une pousse tendre perçant l’enveloppe d’une petite graine forçant les parois de mon intimité. […] J’avais envie d’écrire. Je devais accoucher de cette envie ici et maintenant. »
« Plutôt que de rechercher ce qu’on a perdu, mieux vaut prendre soin de ce qui nous reste. »
Dans une lettre à sa grand mère décédée elle écrit : « Tu répétais toujours : l’écriture c’est le reflet d’une vie. Mon écriture n’est pas encore aboutie mais c’est la mienne sans le moindre doute. Je l’ai enfin trouvée. Soyez heureuses tante Sushiko et toi au paradis. Je suis devenue écrivain public comme toi. Et ce sera mon métier pour la vie. »

LES VERTUS DE L’ÉCHEC de Charles PÉPIN
Né en 1973 Charles Pépin agrégé de philo et diplômé d’HEC est philosophe, écrivain, chroniqueur. Auteur de nombreux livres où il relie la philosophie à la vie.
La philosophie n’est pas un ensemble de concepts se faisant écho, dialoguant ou jouant à des joutes dialectiques dans le ciel éthéré des idées. L’objet de la philosophie est concret. « Il s’agit de penser mieux pour vivre mieux », dit le philosophe André Comte-Sponville.
Dans ce livre l’objet de la pensée philosophique est « l’échec » et plus précisément, comme l’indique le titre, « les vertus de l’échec. » Nous vivons dans un monde où, nous serine-t-on, il faut « se battre » et où les loosers n’ont pas la vie belle. À rebours, l’auteur montre, exemples à l’appui que nombre de succès ont pris racine dans le terreau de l’échec. Il cite, entre autres, le général de Gaulle, la chanteuse Barbara, l’inventeur Edison, Mandela, le joueur de tennis André Agassi, Darwin, Ray Charles qui tous ont connu l’échec et s’en sont servis pour réussir. Rater une ou deux marches ne les a pas empêchés d’arriver en haut de l’escalier même si l’escalier n’était pas celui qui était prévu. On objectera que mille exemples ne font pas une preuve ! Certes, mais quand une multitude d’exemples disent la même chose, on est bien proche de la démonstration..
En quinze chapitres denses l’auteur montre que l’échec aide à comprendre, à apprendre, rend à la fois humble et plus fort, incite à oser, nous fait découvrir la joie de vivre et ouvre de vastes perspectives d’avenir.
Quelques extraits…
Emprisonné pendant vingt cinq ans avant de devenir Président de la République Mandela nous dit « Je ne perds jamais, soit je gagne soit j’apprends ! » Albert Einstein : « Une très grande série de succès ne prouve aucune vérité, quand l’échec d’une seul vérification expérimentale prouve que c’est faux. » « On apprend peu par la victoire mais beaucoup par l’échec » dit un proverbe japonais. Samuel Becket : « Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux. » Le joueur de tennis Roger Federer : « J’ai perdu mais j’ai appris ce que je voulais savoir.» Nietzche : « Vois-tu, je suis ce qui doit toujours se surmonter soi-même. » « Le succès, a déclaré Winston Churchill, c’est aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme. » On pourrait multiplier les citations. Tout le livre est là pour nous donner des forces, nous encourager à oser et nous dire qu’il ne faut pas avoir peur de l’échec. IL nous met en chemin mais ne privilégie aucune piste et, surtout, ne donne pas « la clé » de la réussite. C’est à chacun de nous avec nos talents, notre entourage, notre volonté et nos passions de transfigure nos échecs.
Enfin et c’est, dans le fond, la véritable question il reste à savoir ce que l’on entend par « réussite »
Réussir c’est peut-être inventer la roue, découvrir le feu, escalader l’Everest, faire le tour du monde à la voile, en vélo ou à pied, être champion du monde des mangeurs de saucisses, être l’homme le plus fort du monde, devenir miss Monde, être élu Président de la République, gagner le Tour de France ou la coupe du monde de football, ou simplement comme le dit Cioran : « Marcher dans une forêt entre deux haies de fougères transfigurées par l’automne, c’est cela un triomphe. Que sont à côté suffrages et ovations ? »

Georges PEREC « LES CHOSES » roman.
Georges Perec (1936-1982) Virtuose de l’écriture. Membre de l’Oulipo*. Au-delà de la virtuosité pure son œuvre traite des sujets sociologiques de son époque tout à fait transposables dans la nôtre. Prix Renaudot 1965 pour « Les choses. » Prix Médicis 1978 pour « La vie mode d’emploi.»
* L'OULIPO " Ouvroir de littérature potentielle ", est un groupe de recherche en littérature expérimentale fondé en 1960 par Raymond Queneau et François Le Lionnais. L’objet de l'OULIPO étant d’expérimenter des contraintes littéraires nouvelles ;
Le contenu et la forme
On connaît la façon dont les enfants rêvent et se rêvent « je serais ceci, tu serais cela, etc … » Le livre commence sous cette forme. Les protagonistes rêvent ici non à ce qu’ils voudraient être mais à ce qu’ils voudraient avoir et à ce qu’ils pourraient être pour pouvoir avoir. Pour oublier leurs désillusions permanentes ils font la fête avec des amis qui se trouvent dans la même situation de manque qu’eux. Ce sont des fêtes raisonnables un peu routinières là encore ils hanté par le désir d’une fête plus débridée sans mesure. L’ensemble de ces rêves inaboutis crée en eux une sorte de résignation un peu morne et de soumission un peu hébétée qui, certes, est loin d’être le bonheur mais qui n’est pas le malheur non plus. Ils vivent comme entre deux eaux : le rêve qu’ils ne peuvent atteindre et le réel qu’ils vivent avec une certaine distance et même un certain désintéressement. Lorsqu’enfin ils passent un cap : ils sont plus riches et peuvent donc avoir plus, ils se rendent compte que cela ne change pas grand chose : c’est juste un changement de niveau entre ce qu’ils ont et ce qu’ils désirent avoir mais l’écart reste le même. « Les choses » est un roman sur le matérialisme et la société de consommation et sur la confusion entre « être » et « avoir » L’auteur ne juge pas ses personnages. Il constate simplement que la désillusion n’est pas forcément synonyme de frustration et de rancœur mais qu’elle peut générer une forme de résignation apaisée qui ressemble à une sorte de bonheur, bonheur jamais idéal toujours relatif. « Ils ne se connaissaient plus d’envie. Monde indifférent »
« Le repas qu’on leur servira sera franchement insipide »
Pourquoi lire « LES CHOSES » ?
Ce livre nous aide à (re)penser notre relation aux « choses » et aux objets que nous achetons où dont nous rêvons. Il nous montre que notre relation aux « choses » influe sur nos relations aux autres. Quel rôle joue l’argent et la possession des choses dans la construction du bonheur ? Le rêve de posséder est-il aussi un rêve de bonheur ? Qu’est ce que le bonheur ? Quelle différence entre « avoir » et « être » ? Quelle est la frontière entre la résignation et l’ambition ? Ces questions sont pérennes. Ce livre écrit voici une soixantaine d’années est d’une profonde actualité.
15 juin 2017

TOUT LE MONDE DEVRAIT ECRIRE de Georges PICARD, essai
L’auteur et son œuvre
Né en 1945, abandonné par sa mère, élevé par son père ouvrier, il lit beaucoup, fait des études de philosophie adhère au PC puis le quitte. Il fait des petits boulots puis devient journaliste à « Soixante millions de consommateurs.» Il est l’auteur d’une quinzaine de livres. Romancier essayiste, moraliste qui ne se départit jamais de son humour Georges Picard est une voix à la fois légère et profonde qu’il nous faut faire entendre.
Le contenu
Ce livre montre que l’écriture comme la lecture sont nécessaires voire indispensables : l’une et l’autre nous enrichissent et nous émancipent. Mieux on lit, mieux on vit, mieux on écrit. L’écriture en tant que thérapie se justifie. On écrit pour soi, pour se faire du bien. L’auteur qui veut être publié et diffusé, ne pouvant s’auto évaluer lui-même doit passer par le filtre d’un éditeur
« Ecarté le problème de la publication et du marché de l’édition, je peux imaginer l’acte d’écrire comme une discipline de pensée entièrement privée à l’exemple des journaux intimes qui s’écrivent chaque jour dans l’anonymat.» (...) Parfois ces textes mal fagotés, hésitants répétitifs contiennent plus de promesses que des livres publiés et vantés. » « ... l’écriture acharnée qui force à réfléchir reste l’une des armes les plus solides contre la sauvagerie et l’impuissance. »
Pourquoi lire « Tout le monde devrait écrire » ?
Pourquoi tout le monde devrait écrire ? Il y a au moins trois bonne raisons cela
Pour connaître et faire connaître le réel et tenter de le mieux comprendre. L’écriture est un acte de résistance contre l’obscurantisme.
Pour imaginer un autre réel que le réel. La création d’un univers imaginaire éclaire et élucide la réalité.
Pour faire quelque chose des ses dix doigts. Comme l’ébéniste fabrique la table, le boulanger le pain, l’écrivain qu’il soit amateur ou professionnel noircit des feuilles de papier.
« ... activité solitaire qui nous coupe des autres pour mieux nous relier à eux tout en respectant nos libertés réciproques, écrire apparaît comme l’une des façons les plus excitantes de s’exercer à penser et à vivre sans rien devoir à personne sauf la reconnaissance d’esprit aux écrivains dont les livres nous ont donné la passion de créer à notre tour, et la reconnaissance anticipée aux futurs lecteurs. »
Acte de résistance contre le marketing éditorial, soutenu par le marketing médiatique, qui crée la confusion entre valeur marchande et valeur littéraire, entre l’écriture qui se vend et l’écriture qui se lit ce livre extrêmement roboratif nous éclaire et nous donne le goût de la lecture autant que de l’écriture.

L’arbre monde de Richard POWERS
Né en 1957 Richard POWERS est un écrivain américain auteur d’environ dix ouvrages.
Il a obtenu de nombreuses distinctions dont, pour ce livre, le prix Pulitzer.
Ce livre raconte l’histoire d’une douzaine de personnes qui, chacune à sa manière a un lien avec les arbres. Cet intérêt pour les arbres peut devenir une passion dévorante.
Une scientifique consacre sa vie à montrer et démontrer que les arbres sont dotés d’une intelligence et d’une conscience qui, si elles sont différentes de celles des êtres humains, n’en sont pas moins, l’une et l’autre, bien réelles. Pour cette scientifique comme pour les militants actifs de l’écologie qui veulent sauver les arbres d’une forêt primitive et qui sont en conflit avec le pouvoir politico-économique qui soutient la destruction des arbres millénaires, l’enjeu est aussi simple que démesuré : sauver les arbres c’est sauver les êtres vivants, sauver les êtres vivants c’est sauver la vie et sauver la vie c’est sauver le monde.
Le livre est parcouru par trois courants. Le courant poétique : l’auteur dit ce qu’il ressent de manière imagée. Le courant scientifique : l’auteur dit ce qu’il sait avec une très grande précision. Le courant du suspens : personne ne sait comment l’histoire va se terminer.
C’e livre ne se résume pas ! Riche en poésie, en enseignements et en évènements de toutes sortes il est à l’image d’un arbre immense qu’il est impossible d’appréhender d’un seul coup d’œil et à la va vite. Il faut prendre le temps de contempler son foisonnement, sa luxuriance, son déploiement, son arborescence, son enracinement, sa vitalité, son unité, sa beauté, bref il faut le lire lentement et attentivement pour bien le comprendre et assimiler tout ce qu’il apporte.
Mieux que tout commentaires, voici une sélection de quelques citations. Presque chaque ligne pourrait être citée.
Un arbre est un passage entre terre et ciel.
Aussi sûrement que le vent d’ouest, les choses que les gens savent et tiennent pour acquises changeront. Savoir « de façon certaine » ça n’existe pas. Les seules choses fiables c’est l’humilité et un regard attentif
La vie se parle et elle a capté ses mots. […] Le comportement biochimique des arbres individuels ne prend sens que si on les envisage comme les membres d’une communauté.
— Allez y embrassez-les vos arbres ! Vous allez tous vous faire défoncer !
— Oui sans doute ! Et ensuite c’est la planète qui défoncera les défonceurs. !
Nous savons à présent que les arbres communiquent et ont de la mémoire. Ils goûtent ils sentent, il sentent, ils peuvent même voir et entendre.
Nous avons façonné et été façonnés par les forêts depuis bien plus longtemps que nous ne sommes des homo sapiens.
Ce livre est à lire à tout prix pour comprendre enfin que l’Homme n’est qu’un élément de la Nature et que sauver la Nature c’est se sauver lui. Il y va de son honneur … et de sa survie…

TOUS LES MATINS DU MONDE, Pascal QUIGNARD
Pascal Quignard est un écrivain qui marquera notre siècle. « Tous les matins du monde » est l’un de ces livres majeurs.
Musicien lui-même, Pascal Quignard raconte ici l’histoire de deux musiciens Monsieur de Sainte Colombe et Marin Marais. Cela se passe au XVIIème siècle sous le règne de Louis XIV. Monsieur de Sainte Colombe est un compositeur et interprète exceptionnel (viole de gambe) d’une exigence artistique tout aussi exceptionnelle. Depuis la mort de sa femme, il vit en ermite reclus et misanthrope avec ses deux filles dans une campagne reculée. Il rejette l’idée d’aller à la cour pour devenir musicien du roi et il se rebelle contre Louis XIV. « Vous direz à sa majesté que son palais n’a rien à faire d’un sauvage […] Je suis si sauvage, Monsieur, que je pense que je n’appartiens qu’à moi-même. » Il refuse puis accepte de prendre pour élève Marin Marais qui deviendra musicien du roi et ensuite chef d’orchestre de l’opéra. Ce livre raconte une magnifique histoire humaine qui parle des relations de Sainte Colombe avec sa femme défunte, ses deux filles et Marin Marais. C’est aussi un splendide plaidoyer pour l’art l’art pur, l’art libre, (ici la musique). Le tout est écrit dans une somptueuse écriture poétique.
Monsieur de Sainte Colombe nous dit pourquoi il consacre sa vie à la musique « […] pour l’ombre des enfants. Pour les coups de marteaux des cordonniers. Pour les états qui précèdent l’enfance. Quand on était sans souffle. Quand on était sans lumière. »
A lire et à relire pour la beauté des sentiments, de la musique et de l’écriture, le tout étant ici lié.
A noter : Le livre a été adapté au cinéma par le réalisateur Alain Corneau avec, entre autres, Jean Pierre Marielle, Gérard et Guillaume Depardieu, Anne Brochet, Carole Richert.

Charles Ferdinand RAMUZ « SI LE SOLEIL NE REVENAIT PAS », roman.
L’auteur et son œuvre
Charles Ferdinand RAMUZ (1878-1947), poète, romancier, essayiste suisse. Il traverse une période difficile où étiqueté comme auteur « régionaliste » il se fait auto-éditeur avant d’être publié par Grasset. Il séjourne dix ans en France. De retour en Suisse il anime les Cahiers Vaudois sur le modèle des Cahiers de la quinzaine de Charles Péguy. Pour des raisons financières les Cahiers Vaudois disparaissent. Ramuz tombe temporairement dans l’oubli. Son œuvre (une trentaine d’ouvrages) rééditée, Ramuz occupe désormais la place qui lui revient dans le paysage de la littérature francophone.
Le contenu
En hiver, il arrive que le soleil demeure invisible pendant plusieurs mois dans certaines vallées cachées par des cimes. « Chaque année vers le 25 octobre, le soleil était vu pour la dernière fois et il ne reparaissait que le 13 avril. » Lorsque le soleil disparaît tous les villageois savent qu’il va revenir bien sûr, sauf, cet hiver-là, où la conviction inverse s’ancre dans le bourg. Le bruit court que le soleil a disparu pour toujours. C’était Anzévui, un « savant qui lit dans les livres » qui annonce la terrible nouvelle. « Il est dit dans le livre, que le ciel s’obscurcira de plus en plus et un jour, le soleil ne sera plus revu par nous, non plus seulement pour six mois, mais pour toujours. » Un villageois lui dit avec toute la force de son bon sens : « Voyons, c’est pas possible, depuis le temps qu’il fait son tour. […] Depuis le temps qu’il est habitué à nous et nous à lui. » Mais Anzévui est sûr de lui. « Voilà disait Anzévui, c’est un dérangement qu’il y aura dans les astres ; c’est une maladie que feront les étoiles. » Et le village se déchire entre ceux qui croient en la prophétie d’ Anzévui et ceux qui n’y croient pas !
Pourquoi lire « si le soleil ne revenait pas » ?
Pour la langue de Ramuz : Ceux qui sont montés ou descendus dans un pierrier connaissent la musique des pierres. Ce langage de pierraille, à nul autre pareil, est celui de l’écriture de C.F Ramuz, rocailleux, mais toujours harmonieux.
Pour notre lien avec la nature. Ramuz nous fait assister à ce qui est l’un des plus beaux lever de soleil de toute la littérature. « Et le duvet qui était sur ses joues s’est illuminé tout à coup, en même temps que la ligne de son cou et le contour de ses épaules ont été marqués par un trait de feu. »
Pour la stigmatisation des égoïsmes. Un paysan tire un profit éhonté du malheur d’un autre paysan. Notre société contemporaine libérale n’a-t-elle pas en son sein des proies naïves et des prédateurs cyniques ?
Pour le combat contre l’obscurantisme
« Il te faut venir avec moi pour tâcher d’aller retrouver le soleil, quelque part au-dessus des forêts du Bisse ».
Pour en savoir plus sur Ramuz et connaître toutes ses œuvres ! L'association française "Les Amis de Ramuz" a été créée en 1980 pour contribuer à promouvoir l'œuvre de ce grand écrivain suisse francophone et francophile notamment avec de très belles rééditions.
Site à consulter : http://www.lesamisderamuz.com/pages/whiterings_index.html

L’ANGLAIS VOLANT, récit de Benoît REISS
Benoît REISS né à Lyon en 1976 a étudié la littérature à Lyon et à Paris. Vivre au Japon pendant plusieurs années lui a, nous dit-il, donné entre autres le goût « de ne pas parler trop de lui. » Il codirige actuellement Cheyne édition.
Le style doit être une lumière qui éclaire le texte et non une ombre qui l’accompagne. Au cours de la lecture il m’est arrivé de me demander si certaines phrases n’auraient pas gagné à être plus simples donc plus lumineuses. Question non résolue à ce jour… Ce problème restant en suspens il n’empêche que ce conte philosophique nous est d’un grand profit.
Un étranger du genre hurluberlu qui n’est pas sans rappeler le Monsieur Hulot de Tati arrive dans un village à l’improviste y séjourne quelques jours et s’évapore soudain. Sitôt venu sitôt disparu. Ce qui importe ici ce n’est pas la brièveté de son passage mais ce qu’il apporte sans rien en dire. Pendant son séjour il se comporte toujours étrangement et dans des genres si différents que cela le rend insaisissable. On le voit contemplatif presque en état d’hypnose face à une vitre derrière laquelle il n’y a que le noir de la nuit. Il devient tout à coup hyperactif et il sert à lui seul tous les clients du restaurant où il a élu domicile. Il fait un spectacle de marionnettes dans lequel il joue une multitude de personnages. Quand il vide le contenu de son sac monstrueusement énorme il en sort un univers d’objets hétéroclites dont il fait une sorte d’œuvre d’art en les assemblant quasi magiquement. Il lui arrive aussi de créer avec le contenu de ce sac un salon-salle à manger somptueux digne d’un conte de fée. L’anglais volant distille dans les esprits et les cœurs des villageois (et des lecteurs !) la double question du réel et du rêve. On lit ceci à la fin du livre :
« Où aller ? […] La nature de cette question, à peine se l’est on posée qu’on ne se la pose plus pourtant elle est là, toujours là comme le rayon de soleil qu’on ne regarde plus, elle reste là mais on s’en détourne par petits groupes ou un par un, on s’éloigne, on se disperse. Où aller ? »
À chacun de répondre comme il l’entend à cette question mais je ne peux m’empêcher de penser que c’est vers la « musique en soi » qu’on doit « aller » et cela notamment pour faire mentir le sombre Céline qui dans « Voyage au bout de la nuit » nous dit : « On n’a plus beaucoup de musique en soi pour faire danser la vie. » L’anglais volant cherche cette musique et quand il la trouve il la fait entendre. Après son passage plus rien ne sera comme avant dans le village. Lire ce livre c’est chercher nous aussi l’étrange et belle musique qui fait danser la vie.
Parmi les contes philosophiques il faut bien sûr se référer aux grands classiques que sont « Les Lettres Persanes » de Montesquieu, « Zadig » de Voltaire et bien d’autres beaucoup plus modestes écrits dans cette veine dont « Les pingouins de Sinandaz » de l’auteur de ces lignes.

Edmond ROSTAND « CYRANO DE BERGERAC », pièce de théâtre.
L’auteur et son œuvre
Issu d’une famille bourgeoise, originaire de Marseille, Edmond ROSTAND (1868-1918) fait des études de droit mais s’oriente vers l’écriture. Poète, essayiste, auteur dramatique il a écrit un e quinzaine d’ouvrages. « Cyrano de Bergerac » (1897) chef d’œuvre impérissable.lui vaut la notoriété
Le contenu
Acte 1 : Doté d’un nez énorme, Cyrano de Bergerac est aussi laid extérieurement que beau intérieurement. Il est intelligent, courageux, généreux, philosophe, lettré, poète. Dans le théâtre où il vient pour interdire à l’acteur principal de jouer il se bat en duel tout en improvisant un poème. Il apprend, fou de joie, que la belle et raffinée Roxane dont il est passionnément amoureux lui fixe un rendez-vous.
Acte 2 : Dans la pâtisserie où il a rendez-vous avec Roxane il découvre que Roxane n’est pas amoureuse de lui mais du beau Christian de Neuvilette. Il rencontre Christian qui ne sait ni parler ni écrire correctement. Il lui propose de séduire Roxane à sa place.
« Je serai ton esprit tu seras ma beauté », dit-il à Christian.
Acte 3 : Christian accepte l’aide de Cyrano. Grâce à Cyrano qui reste dans l’ombre, Christian conquiert Roxane et l’épouse.
Acte 4 : Sur un champ de bataille. Cyrano écrit deux fois par jour à Roxane des lettres d’amour signées de Christian sans que celui-ci le sache. Pour les lui porter il traverse les lignes ennemies en risquant chaque fois sa vie.
Acte 5 : De nombreuses années plus tard dans le couvent où elle s’est retirée après la mort de Christian Roxane découvre la généreuse supercherie de Cyrano. Elle comprend qu’en réalité c’est Cyrano qu’elle aime et qu’elle a toujours aimé.
Pourquoi lire Cyrano de Bergerac ?
Énergie, dynamisme, émotion, intelligence, courage, désintéressement, générosité sont les vertus mises en valeur par cette aventure humaine.
Cyrano oppose le paraître à l’être : « Moi c’est moralement que j’ai mes élégances. /Je ne m’attife pas ainsi qu’un freluquet, /Mais je suis plus soigné si je suis moins coquet. »
Cyrano défend la liberté contre l’aliénation : « Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! »
Cyrano de Bergerac est une formidable leçon de vie qui montre sans didactisme ni moralisation ce qu’est la résistance de la vérité contre le mensonge, du courage contre la lâcheté, de la générosité et du désintéressement contre l’égoïsme. En définitive c’est une magnifique histoire d’amour.