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CHRONIQUES LITTERAIRES - Ouvrages des auteurs de S à Z

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LE BAL DES CANOTIERS de Danièle SERAPHIN, roman

 

Danièle SERAPHIN  a été professeur de danse et chorégraphe. Elle enseigne actuellement le Français.  Auteurs de six romans et d’un essai sur l’Art Flamand. 

Le récit  

Ce livre raconte la confrontation deux sœurs jumelles paradoxalement dissemblables et semblables, séparées et unies. Parfois miroir l’une de l’autre, parfois dissociées  l’une de l’autre, parfois dans une unité fusionnelle,  toutes deux, de manière différente célèbrent la beauté, combattent l’abandon (disparition du père, mort de la mère) et cherchent l’amour. Un des enjeux de leur affrontement est un homme qui, tiraillé entre amour et libido, exacerbe les tensions relationnelles entre les sœurs et, joue un rôle de révélateur dans leur histoire personnelle et commune. Entre les deux sœurs, la question de  l’amour sororal ne se pose pas : elles ont passé outre, si bien que, chez elles, il arrive que « je t’aime » veut dire « je te déteste » et « je te hais » signifie  « je t’aime. » Le mot « indifférence » ne fait pas partie de leur vocabulaire. À un certain stade de leur histoire  des mutations psychologiques et même  physiques s’opèrent si bien que le lecteur ne sait plus très bien laquelle est laquelle. Cette incertitude est stimulante car celui qui lit veut forcément les mieux connaître et savoir ce qu’est et ce que sera leur vie. Plusieurs renversements de situation (et de rôles) donnent un rythme assez soutenu au récit.

Les références

Deux liens sont à souligner. Le premier concerne le film « Séraphine » (2008) de Martin Provost dans lequel Séraphine jouée par Yolande Moreau pourrait bien être un composite hybride des  sœurs du « Bal des canotiers. » Le second lien, dûment référencé celui-ci, relie les sœurs aux  frères van Gogh, Vincent et Théo. Des extraits de leurs échanges épistolaires éclairent les  relations entre les jumelles.

La forme et le fond  

Illuminant parfois la narration des images fulgurantes nous surprennent et nous enchantent. Ces éclats sont hélas trop sporadiques L’auteur péche parfois par excès de zèle   (d’un comédien on dirait qu’il surjoue) et parfois par excès de facilité : langage ordinaire générateur de lieux communs. Ces instabilités et dissonances stylistiques nuisent à l’unité et portent préjudice à la puissance du livre. Ces réserves mises à part l’auteur réussit à transcender l’histoire ordinaire de ces deux sœurs pour la transmuer en œuvre d’art dont le but (comme celui de toute œuvre d’art) est de se rendre miraculeusement indispensable pour nous aider à mieux comprendre la vie.

 

Dans « le Bal des Canotiers » ce miracle réussi offre deux perspectives, l’une sinistre, l’autre radieuse. Dans le premier cas il s’agit de chercher comment « se tirer de la vie quand on vous a mis la mort dans le corps dès la naissance.» Dans le second cas « à l’égal d’un Renoir ou d’un Monet n’avoir jamais que l’ambition d’être un peintre des bonheurs simples. » Ce qui revient à choisir entre le « pessimisme de la raison » et « l’optimisme de la volonté » ou alors, refusant de choisir, il faut comprendre que vivre c’est tenter de réconcilier les deux propositions-sœurs.

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Mary Ann SHAFFER et Annie BARROWS

« LE CERCLE LITTÉRAIRE DES AMATEURS D’ÉPLUCHURES DE PATATES », roman épistolaire

Mary Ann Shaffer (1934-2008) a été bibliothécaire, éditrice, libraire et écrivain. Ce livre a été publié aux USA en 2008 (après sa mort) et en France en 2009. Sa nièce Annie Barrows née en 1962 auteur de livres pour enfants est la co-auteur du livre.  

 

Que nous raconte ce livre ?

Grâce à une succession de lettres que s’écrivent les aux autres les protagonistes du récit, nous découvrons ce qu’est le cercle des amateurs de littérature et de tourte aux épluchures de patates de Guernesey ; nous vivons de la vie des insulaires sous l’occupation allemande (Guernesey est le seul territoire britannique à avoir été occupé par les Allemands) ; nous comprenons le rôle de la lecture chez des gens peu prédisposés à lire ; nous devenons des proches de tous ceux qui de près ou de loin vivent leur petite histoire dans la grande Histoire (mais, quel que soit le contexte, la petite histoire de chacun n’est elle pas une grande histoire ?) ; le personnage principal, l’écrivain Juliet Ashton, nous montre que la passion d’écrire et la passion de connaître les autres est la même passion, ces deux passions conjointes l’amènent à écrire avec brio les aventures des amateurs de littérature et de tourte aux épluchures de patates de Guernesey, histoire remarquable qui nous fait vibrer et que nous lisons avec grand bonheur. C’est volontairement que je ne dévoile aucun indice : la découverte du chemin que suit les acteurs et actrices de l’histoire est un plaisir en soi.

 

Pourquoi lire ce livre ?

Pour sa dimension humaine. Dès les premières lignes nous vivons AVEC les protagonistes de l’histoire. Nous apprenons à les connaître et éprouvons pour eux une vraie empathie et de véritables sentiments : affection pour beaucoup, répulsion pour quelques uns (rares.)

Pour son aspect historique.  Nous connaissons les difficultés que rencontrent les habitants d’un pays occupé par les allemands même si ceux-ci ne sont pas tous des nazis forcenés et tortionnaires.

Pour sa défense des livres et de la lecture. Cet ouvrage est un plaidoyer pour la lecture. Des gens menacés par les occupants sauvent leur vie grâce à la création de ce fameux cercle littéraire sans avoir lu un seul livre, puis ils l’enrichissent et ils l’animent en lisant, en prenant goût à ce qu’ils lisent et aux échanges que la lecture occasionne.

Pour son humour. Presque toutes les lettres nous font sourire même quand elles relatent des faits graves. C’est le prodige de ce livre : il est résolument positif et optimiste et cela malgré les difficultés de la situation (la guerre de 39-45 !) En le refermant, on a le sourire et on décide que si on met de la bonne volonté tous les problèmes de la vie trouvent leur solution. Un grand merci aux deux auteurs ! Nous sommes affectés du décès de Mary Ann Shaffer comme de celui d’une amie.

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LE GOÛT SUCRÉ DES PASTÈQUES VOLÉES de  Sheng Keyi

Dans « Le goût sucré des pastèques volées » paru en 2021, Sheng Kyi raconte son enfance  dans la  Chine rurale parmi les paysans pauvres et frustes.  Ce récit est composé de soixante-quinze anecdotes simples mais jamais simplistes, tantôt descriptives tantôt narratives, toutes précises et significatives, toutes agréables et faciles à lire et néanmoins profondes. Aujourd’hui, écrivaine reconnue,  Sheng Keyi  exprime dans cet ouvrage tout ce que ces années d’enfance lui ont apporté et les sentiments qu’elle éprouve en évoquant ses souvenirs. Entre autres … 

  • La nostalgie. Malgré la dureté des conditions de vie de l’époque, elle se souvient avec tendresse de son enfance qui fut globalement joyeuse et même heureuse.

  • Les regrets. Tout ce qui a contribué à rendre son enfance joyeuse et heureuse a disparu. Les rivières et les étangs sont pollués, les poissons et les oiseaux ont disparu, les champs sont en friche, les fermes en ruine, la vie sociale est détériorée  par la télévision et les écrans…

  • La colère. Colère contre la passivité et la résignation des paysans qui n’ont pas su améliorer leur sort et et qui ont laissé se dégrader la campagne ancienne.

  • La gratitude et l’amour. Gratitude et amour pour sa mère qui a toujours aimé et soutenu la petite fille sauvageonne, indisciplinée et libertaire qu’elle était et de manière générale. Gratitude et amour pour tout ce qui, au cours de son enfance, lui a permis de  fonder sa vie d’adulte. 

Cette brève fresque historique se  déroule dans la campagne profonde de la Chine lointaine, de ce fait elle est peut-être peu parlante pour ceux et celles qui ne connaissent ni la Chine ni la campagne. Néanmoins, tous ces éclats de vie nous renvoient clairement aux évolutions de  notre  société  laquelle, en moins d’un siècle,  est passée de la ruralité à l’urbanisation et du dialogue en face à face à l’artificialisation numérique de la communication. Tous ceux et celles   qui s’interrogent sur l’avenir de l’humanité devraient lire ce livre.

 

« Les gens de nos jours aiment passer leurs vacances dans des campagnes recréées artificiellement, en quête de charmes rustiques tout en détruisant la nature et en produisant de la pollution de manière incontrôlée. »

 

« Nous entrons dans une nouvelle époque d’obscurantisme et d’ignorance. La tradition millénaire de savoir et de raison est en train de disparaître pour faire place à la seule recherche de la réussite et du développement. »

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PETITE POUCETTE, Michel Serres 2012, essai

 

Michel SERRES né en 1930 est un historien des sciences, homme de lettres, philosophe. Académicien depuis 1990. Il s’attache au problème de la science (et des progrès technologiques) face à l’humain (et les progrès culturels et moraux.) Quand la technologie issue de la science est une violence comment fonder une éthique ? Dans le « Contrat naturel » il pose les bases d’un accord entre l’homme et la terre. Dans « Le gaucher boiteux » il montre que l’histoire de l’évolution n’est pas une histoire de lignes droites mais de « bifurcations. » Enfin dans « Petite Poucette » qui est la reprise d’une de ses conférences, Michel Serres se montre résolument optimiste quant à l’acquisition des connaissances et à la liberté de penser via le numérique.

 

Ce que dit ce livre … 

Michel Serres postule ici que la révolution du numérique est aussi importante que celle de l’écriture et de l’imprimerie : ce qui est juste ! Selon lui, le numérique fait voler en éclat le vieux mode d’acquisition des connaissances via l’enseignement traditionnel dans lequel, de la maternelle à l’université, prédomine la relation bien connue maître/élève. La nouvelle et future  manière d’apprendre et de comprendre serait donc internet avec son stock quasi sans limite d’informations. L’accès au savoir ne se ferait donc plus de maître à élève mais de fournisseur à client et, autre innovation majeure, dans un rapport égalitaire de pair à pair via les réseaux sociaux. Selon lui, le mode ancien d’acquisition des connaissances aliènerait puisqu’il s’agit d’un rapport de dominant à dominé.  Il écrit  « La focalisation de tous vers l’estrade [du professeur] reproduit […] celle du prétoire vers le juge, […] de la cour royale vers le trône, de l’église vers l’autel. Inversement, parce que communautaire et démocratique, le mode nouveau d’apprentissage des connaissances libèrerait !

 

Pourquoi lire ce livre ?

L’optimisme de Michel Serres pourrait être revigorant comme le sont en général toutes les idées positives mais ici la certitude qu’il affiche en un avenir « radieux » grâce au numérique et à internet nous pose question.  

  • Dans le schéma actuel, de l’école maternelle jusqu’au doctorat et au-delà, l’enseignant aide l’enseigné à acquérir les structures cognitives qui lui sont nécessaires pour organiser et structurer la masse d’informations désorganisées fournies par l’extérieur dont internet. Grâce à l’enseignement dispensé par le maître ,  l’élève comprend que l’information n’est pas la formation, que la connaissance n’est pas une simple accumulation des données, que la mémoire n’est pas l’intelligence et que papillonner n’est pas penser.

  • « Jamais n’exista la démocratie du savoir » dit Michel Serres. Soit ! Mais comment la marchandisation des informations pourrait-elle libérer davantage que l’enseignement laïc, public et ouvert à tous et toutes ? Internet n’a aucun objectif dans le domaine du développement de la personne. Pour le fournisseurs seul compte le nombre de clients : en matière de « démocratie du savoir » on fait mieux !  Internet est aux mains des marchands alors que l’Éducation Nationale est aux mains des humanistes ! Nous devons faire confiance aux hommes dont l’objet est l’homme non à ceux qui cherchent le profit !

  • Internet nous donne le sentiment, voire la certitude,que l’accès à la totalité de la connaissance est possible partout et tout le temps sans la moindre médiation humaine. Cette dissémination des connaissances  mécanistes a pour conséquence de déprécier les anciens maîtres qui sont destitués de leur statut de « vieux sages dépositaires du savoir. » Désormais l’élève (d’ailleurs ce mot lui aussi est déprécié) refuse le pouvoir des maîtres. Certes comme dit Montesquieu mais quand le pouvoir est la conséquence d’une intelligence reconnue, le refuser c’est refuser de bénéficier de cette intelligence dont on a tant besoin.

  • Il ne s’agit pas ici de céder au manichéisme : le rapport humain entre le maître et l’élève apporterait tout et le numérique n’apporterait rien  ou inversement c’est le numérique qui apporterait tout et la voie(voix) humainene serait rien ! Croire quel que soit l’objet de la croyance est toujoursnocif ! (JH Favre)

 

L’euphorie quant à la prétendue liberté de « Petite Poucette » et à ses perspectives d’avenir hors de toute tutelle éducative et pédagogique est déraisonnable. Loin de nous rassurer cet optimisme nous inquiète !

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Une rose et un balai de Michel SIMONET, récit autobiographique

Michel SIMONET est balayeur de rue à Fribourg. Il raconte son quotidien.

Ce livre est à lire pour de multiples raisons.

  • Il met sur le devant de la scène un métier peu valorisé, pour ne pas dire méprisé.

  • Il montre que sans le travail quotidien des balayeurs nous serions vite submergés par les immondices : grâce à eux nous vivons mieux.

  • Il fait changer notre regard sur l’ordinaire, le banal, le trivial et l’ordinaire, le banal, le trivial nous les redécouvrons, dans leur réalité, leur vérité, leur beauté et leur sens.

  • Il démontre que quel que soit le métier exercé si le travail est fait avec plaisir et passion il génère de la joie de vivre et du bonheur pour soi-même, pour ses proches et pour tous ceux avec qui on est en relation.

  • L’auteur-balayeur est un homme libre. Sa formation initiale lui aurait permis d’avoir une profession plus confortable. Il a choisi librement sa voie. (Il dirait sa « voierie » car l’auteur aime les bons mots)

  • Il nous enseigne à la fois l’humilité et l’orgueil, l’orgueil d’être humble et de faire orgueilleusement ce qu’on a choisi de faire.

  • Il indique une direction à suivre : celle de l’ordre et de la propreté pour soi et pour les autres.

  • Il fait apparaître qu’il n’y a pas de distinction entre le sacré et profane.

  • Il met en évidences les vertus d’une vie simple

 

« Une rose et un balai » est à la fois un livre de philosophie et de poésie, philosophie et poésie de terrain qui, l’une et l’autre, tracent un chemin du connu vers l’inconnu, du geste quotidien vers la pensée en mouvement et vers les rêves toujours renouvelés.

Pour donner un éclairage sur l’esprit de ce livre et donner envie de le lire ligne à ligne voici quelques citations significatives.

« Le rôle du balayeur officiant et purificateur au premier degré des temples et agoras des temps modernes que sont rues, parcs et places consistera alors à réhabiliter sur plusieurs niveaux et en modeste synergie avec d’autres bonnes volontés et capacités ces lieux d’intense nature humaine. […] Un tel programme donne des ailes pour l’accomplir. »

« Ce que tu fais fais-le suprêmement, écrivait Pessoa.»

« […] Le balayeur que je suis poursuit donc à sa façon un parcours universitaire de plein air à la Faculté Macadamique du Ciel ouvert. […] « 

« Il y a des métiers compliqués celui-ci est un métier appliqué. »

« Apprenti sans certificat et aux vastes matières, éternel étudiant sans pupitre et sans toit mais à tête reposée, disciple aux nombreux maîtres passants, tels sont les titres au cursus incertain mais formateur que le trottoir confère. Docteur honoris causa. […] Tout feu tout flegme. […] Balayeur et fier de lettres. »

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John STEINBECK, DES SOURIS ET DES HOMMES, roman

 

John STEINBECK (1902-1968) américain. Écrivain majeur. Prix Nobel en 1962. Thèmes principaux : la Californie, la ville, la classe ouvrière confrontée aux difficultés matérielles et sociales. John Steinbeck se définit comme une « âme lourde essayant de voler. »  

Des souris et des hommes

Ce roman raconte l’histoire de  George et de  Lennie deux ouvriers agricoles saisonniers et itinérants liés par une sorte de fraternité. Ils ont un rêve en commun, posséder leur propre terre, être « rentiers » et élever des lapins.

Les protagonistes principaux de l’histoire 

Lennie doué d’une force physique hors du commun est très limité intellectuellement. George dit de lui : «  Il est pas dingo. Il est con comme la lune, mais il n’est pas fou ». Comme un enfant simplet il adore caresser des choses douces (des souris, des chiots) mais comme il ne contrôle pas sa force, cela lui attire beaucoup d’ennuis.  Il représente la bêtise naïve, une forme d’innocence enfantine  et le besoin de douceur et de tendresse.  

George doté d’une intelligence normale protège Lennie. Il le surveille et lui évite les problèmes mais il ne peut pas être avec lui vingt-quatre heures sur vingt-quatre. George est un homme bienveillant, compatissant, fidèle en amitié et qui rêve d’une vie meilleure, vie qu’il ne conçoit pas sans Lennie malgré les difficultés qu’il rencontre à cause de lui.

La femme du fils du propriétaire de la ferme où travaillent Lennie et George est une belle femme qui  s’ennuie, qui rêve de s’en aller et qui s’occupe en séduisant les ouvriers. Elle représente la bêtise avec pour conséquence la méchanceté. C’est une femme « fatale » au sens où elle est pourrait-on dire la fatalité elle-même et cela tout particulièrement dans sa relation avec Lennie. 

À propos du rêve de bonheur qui traverse le livre… 

 « Chacun d’eux a son petit lopin de terre dans la tête. Mais y en a pas un qu’est foutu de le trouver. C’est comme le paradis. Tout le monde veut un petit bout de terrain. Personne n’va jamais au ciel et personne n’arrive jamais à avoir de la terre. C’est tout dans leur tête. Ils passent leur temps à en parler mais c’est tout dans leur tête. »

 

Ce petit livre bref, simple concentré est d’une densité exceptionnelle. Instantanément et durablement on partage la vie des protagonistes et l’on voit, comme une machine infernale incontrôlable, se dessiner de façon inéluctable leur destinée. Livre sur le libre-arbitre, sur les relations sociales, sur le besoin d’amour, sur les discriminations raciales et sociales, sur les conséquences imprévisibles et souvent désastreuses de la bêtise. Paru en 1947 ce livre est plus que jamais d’actualité.

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Yvan STRELZYK, Le livre d’amertume (Eklendys), roman

 

Yvan Strelzyk est né en 1972. Il est écrivain et spécialiste du jeu de go.

Il a collaboré au dictionnaire Tolkien. (Éd. CNRS)  Eklendys est un pays imaginaire qu’il situe sur les rivages de la Baltique.

 

 

Entrer dans ce livre c’est entrer dans un pays inconnu et en relation avec des personnes elles aussi inconnues qui très vite deviennent des connaissances proches, voire des amis ou des ennemis, avec lesquels on  partage soucis de la vie quotidienne, émotions, sentiments, et aussi  avec qui on échange des points de vue sur l’art, la littérature, la poésie, la politique, sur Dieu…

C’est au lecteur de trouver le sens ou du moins une orientation dans la densité ce qui se dit et se vit dans cet ouvrage, certains des thèmes cités plus haut étant  abordés de façon théorique et d’autres vécus de façon concrète.

 

On observe plusieurs courbes qui s’entrecroisent, se rejoignent et parfois se télescopent dans le récit.  Il y a la courbe de la progression inexorable du totalitarisme politique, celle des soubresauts parfois imprévisibles et chaotiques des relations interpersonnelles dont les relations  amoureuses, et enfin celle des heurs et malheurs artistiques de certains des protagonistes.

 

De façon générale ce livre raconte et montre sans chercher à démontrer. Pourtant l’auteur, (assez rarement heureusement) cède à la tentation de l’essentialisme et du didactisme ce qui le conduit à en dire trop (outrepassant ainsi la fonction du roman) ou pas assez (restant alors en deçà des argumentations propres à l’essai.)

 

Les deux types d’écriture utilisés, l’écriture narrative et l’écriture poétique, sont extrêmement agréables à suivre parce que vives et fluides et toujours  en adéquation avec le fond du récit qui lui même est toujours en mouvement.

À l’image des relations interpersonnelles les dialogues ne sont jamais vraiment familiers. Ils  témoignent à la fois d’une distance et du respect entre les protagonistes que ceux-ci soient ou non liés par des liens d’amitié.  « Le défaut de cette qualité » est, peut-être, une désincarnation et un   manque de tranchant incisif et passionnel cela malgré de beaux passages comme celui-ci P94 «  Ma peau est rousse comme l’ivoire. J’irais nue sans mes vêtements pour charmer  tes yeux de mon corps éclatant. J’irais nue pour tes caresses. » La « qualité de ce défaut » est peut-être une pacification des relations et une bienveillance généralisée. C’est au lecteur d’en juger. 

 

On peut reprocher à ce livre sa longueur mais chacun a fait l’expérience de ces fins de  soirées passées avec des gens que l’on aime où l’on dit « Déjà, trois heures du matin, on n’a pas vu passer le temps !  »  Le temps a passé et rien en apparence ne s’est passé sinon le tissage du lien social : ce qui n’est pas rien et qui est peut-être même le tout de la vie ! Ce livre est donc à lire, pour sa durée !  Tout le temps que l’on passe avec les protagonistes de l’histoire est un temps agréable et utile même quand on parle de choses futiles

Il est à lire  parce qu’il nous fait comprendre que la montée du totalitarisme est insidieuse et parfois même indolore pour qui se laisse anesthésier.

Il est à lire parce qu’il s’agit d’un livre humaniste qui montre les vertus du lien social et celles de la démocratie avec son vice qui est la démagogie.   

Il est à lire parce qu’il  prône le « vivre ensemble. » Non pas le vivre ensemble à la façon des animaux              de la jungle égocentrés et amoraux mais en tant qu’êtres humains dotés d’une morale ; « ensemble » devenant alors ici l’autre nom de l’amour. 

Il est à lire  parce qu’il nous montre des personnes qui toutes à leur manière  se débattent  et se battent avec les armes qu’elles ont (l’art, la poésie, Dieu, l’amitié, l’amour) dans ce que Camus appelle le « merveilleux désastre de la vie. »

P410 «  L’idée de Maria était ambitieuse ou du moins la jugeait-elle ainsi : peindre la branche d’un arbre nu noircie par l’humidité de l’hiver et recouverte d’une fine couche de gel luisant dans le dernière lueur du jour. Ici et là, une goutte dorée aux reflets étincelants et en arrière plan les contours estompés de la ville vaporeuse. »

Ambition de Maria,  ambition du livre ?

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LE PARFUM de Patrick SÜSKIND, roman

 

Écrivain et scénariste allemand né en 1949 Patrick Süskind est connu pour son roman

« Le Parfum » paru en 1986, adapté au cinéma en 2006 et pour « La contrebasse », une pièce de théâtre à un personnage jouée, entre autres, par Jacques Villeret puis par Clovis Cornillac.

 

« Le parfum » raconte l’histoire d’un « nez » absolu. (De même que l’on dit de quelqu’un capable de reconnaître infailliblement sons et notes de musique qu’il a une « oreille absolue » ; de même on dit de celui qui est capable de reconnaître sans la moindre erreur  toutes les odeurs qu’il a un « nez absolu.) Rien ne destine Jean Baptiste Grenouille né en 1738 à Paris à être connu et reconnu comme un « nez » absolu. Il naît dans la fange et échappe de peu à un infanticide. Sans père ni mère il est bourlingué de nourrices en orphelinat et en foyers d’accueil (qui sont tout sauf accueillants) pour être vendu finalement à l’âge de neuf ans comme « enfant » à tout faire à un tanneur cupide et sans scrupule. Sa vie change quand chargé par son patron de livrer des peaux chez un parfumeur il dévoile à celui-ci l’exceptionnel don qu’il a pour reconnaître les arômes et surtout pour les assembler afin de réaliser les parfums. Il entre au service de ce parfumeur et métamorphose sa parfumerie.

 « […] Il possédait un gigantesque vocabulaire d’odeurs lui permettant de construire une quasi-infinité de phrases olfactives nouvelles […] »

Ce roman à l’écriture à la fois précise et généreuse décrit la vie rude et sans horizon des pauvres gens du XVIIIème siècle avec tout à coup le flamboiement d’une vie exceptionnelle construite par et pour les odeurs, les suaves autant que les puantes. Jean Baptiste Grenouille doté d’un « nez absolu » veut créer le « parfum absolu.» Sa quête fait de ce livre un véritable conte philosophique qui montre l’incommensurable écart qu’il y a entre l’idéal essentialisé et le monde réel. La trame est une aventure humaine traversée comme il se doit par les courants du bien et du mal.

 

Il faut lire ce livre pour cheminer parmi les senteurs, les arômes, les fragrances multiples et mêlées, pour vivre la vie aventureuse et dangereuse de Jean-Baptiste Grenouille et surtout pour suivre son cheminement intérieur passionné et passionnant dans l’univers des odeurs humaines et inhumaines vers le paradis de la perfection où chaque mot est une odeur et chaque phrase un parfum. « […] il s’était aspergé des pieds à la tête avec le contenu de cette petite bouteille et était apparu tout d’un coup inondé de beauté comme d’un feu radieux. […] Ils éprouvaient une attirance pour cet homme qui avait l’air d’un ange.» Jean-Baptiste Grenouille devenu adulte demeure un enfant têtu et innocent - à la fois ange et démon - à la poursuite obstinée et constante de son rêve. Sa volonté de créer la beauté absolue lui fait suivre des chemins eux aussi d’une absolue dangerosité. Il ne peut être que seul, séparé des autres, abandonné à lui-même comme il le fut dés sa naissance, à la fois en-deçà et au-delà de la morale, avec la question de l’amour qui reste en suspens.

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MY ABSOLUTE DARLING, roman de Gabriel TALLENT, roman

Ce livre est le premier roman de Gabriel TALLENT, un Américain né en 1987

Pourtant peu enclin à parler de la violence, la violence de ce livre a retenu mon attention et susciter mon émotion. En voici les raisons. Un père aime sa fille, une adolescente de quatorze ans, d’un amour exclusif, comme annoncé dans le titre. En retour, la  jeune fille aime son père avec la conscience que si elle ne se défend pas contre cet  amour paternel démesuré qui se manifeste  souvent dans une violence extrême elle y perdra son âme et peut-être même sa vie. Nous assistons donc à la confrontation entre le père et la fille sous le regard de quelques témoins, dont le grand-père,  tous et toutes, dans l’incapacité de résoudre et même d’aider à résoudre le problème.

Cette histoire pleine de péripéties, de rebondissements « de bruit et de fureur » est une sorte diagnostic froid sans affect de ce qui se passe quand les protagonistes emportés par leurs pulsions bestiales, dominatrices et possessives  deviennent des monstres tout à fait crédibles. On plonge dans les méandres les plus sombres de l’âme humaine pour faire le constat que même si le mal est omniprésent et terriblement oppressant l’étincelle du bien ne s’éteint jamais complétement. Exemple d’étincelle : « Tu verras dit Jacob. Quand tu seras piégée seule et apeurée, sur l’île morne et ventée de ton premier cours de littérature au lycée, brisée par les écueils de la lettre écarlate je te prendrai par la main et je te dirai : « N’aie crainte la lune est gibbeuse et couleur de cire. Les déjections sont humides et dégagent des effluves de baies de manzanita. »

Quant à la forme du récit étroitement lié au contenu, il y a un contraste saisissant entre le style soutenu et soigné du narrateur et le style parlé, quelconque voire vulgaire des protagonistes lors de leurs dialogues. Décalage conséquent aussi  entre le comportement du père et son niveau culturel. L’histoire se passe dans un milieu pauvre matériellement mais intellectuellement  aisé. Le père abusif sait ce qu’il fait il n’a pas l’excuse de l’ignorance. Il a une conscience aigue des problèmes sociaux économiques et écologiques du monde et on dirait que non content de ne rien pouvoir résoudre il s’enferre et rajoute ses propres turpides à celles du monde.

Histoire extrêmement animée d’amour et de haine, de violence avec armes et de tendresse avec larmes où chacun marche en équilibre sur la ligne de crête entre plaisir et souffrance avec la peur au ventre sachant que le moindre souffle pourrait les précipiter sans recours dans les abimes du malheur.

  « J’avais peur et j’ai merdé, et je ne sais comment ! Bon Dieu ! Comment j’ai pu devenir l’homme que je suis devenu ? »

« Quand il est au meilleur de sa forme il s’élève largement au-dessus de la masse et il est plus incroyable que tout le reste. Mais il y a quelque chose en lui. Un défaut qui empoisonne tout. Que va-t-il advenir de nous ? »

Il est nécessaire de lire ce livre pour rester en éveil et surtout pour poursuivre la résistance sans fin contre le mal et toutes ses manifestations lesquels peuvent prendre  des formes diverses dont la forme improbable donc d’autant plus sournoise et perverse de l’amour et pour,  en définitive, rester optimiste.

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WALDEN  de Henri David THOREAU

Henri David  Thoreau (1817-1862) est un écrivain américain auteur de quelques livres dont Walden que relate son expérience de vie solitaire et autarcique au bord du lac Walden. 

Diplômé de Harvard,  Henri David THOREAU, à l’âge de 28 ans, décide de se construire une cabane  au bord du lac Walden (Massachusetts) à 2,5 kilomètres de la plus proche habitation. Il vivra là, en autarcie, pendant deux ans deux mois et deux jours entre 1845 et 1847. Il sera bûcheron, charpentier, menuisier, jardinier, chasseur, pêcheur, commerçant (il vend une partie des légumes de son potager.)

Quand il ne travaille pas de ses mains il reste très souvent assis à ne rien faire «  Le jour naturel est très calme  et risque peu de reprocher à l’homme son indolence. » Il lui arrive aussi de lire et d’écrire.  

On trouve à chaque page du livre des trésors de pertinence, de clairvoyance  et de sagacité. Voici, quelques exemples de ce que son mode de vie lui enseigne. De nombreux autres exemples seraient  à citer…  

  • Seule la nécessité est vitale, le luxe est inutile. Il ne faut désirer riend’autre que ce qui est nécessaire à la vie. Le mieux est de ne désirer que ce que l’on a !

  • Les habitudes cancérisent la vie Tching-Tang.)  

  • L’être humain est consubstantiellement lié à la nature. C’est un élément de la nature. Faire du tort à la nature c’est se faire du tort, c’est se suicider.

  • Le commerce est la meilleure et la pire des choses. Le commerce développe les relations humaines mais, l’appât du profit les gangrène souvent.

  • Vivre sa vraie vie et non l’apparence de la vie.

  • Chacun doit défendre sa liberté pour vivre libre !

Henri David THOREAU nous parle du monde et de la vie à travers les prismes de la philosophie, de la poésie, de l’économie, de la politique, de l’écologie de l’humanisme.

Si elle avait suivi les voies  indiquées par Thoreau, l’humanité ne serait  pas confrontée aujourd’hui à la pollution des terres et des mers, au réchauffement  climatique, à l’extinction massive des espèces, à la désertification,  à la surproduction, à la surconsommation, aux famines, aux injustices… 

Il n’est peut-être pas trop tard. Ce qu’écrit Thoreau en 1850 est transposable en 2020.  Walden peut nous aider à penser le monde de demain.

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UN ÉTÉ AVEC HOMÈRE, de Sylvain TESSON, essai

Né en 1972 Sylvain Tesson est à la fois écrivain, voyageur et aventurier. Il est viscéralement les trois à la fois ; il serait vain de vouloir dire si c’est l’écriture qui est la cause de l’aventure ou l’aventure la cause de l’écriture. L’aventure est son écriture, l’écriture son aventure. Prix Goncourt de la nouvelle en 2009.

Le hasard veut - le hasard est une volonté dont on ignore les causes - le hasard donc veut que je relise quasi simultanément « Vies minuscules » de Pierre Michon et découvre « Un été avec Homère de Sylvain Tesson Les anonymes de Pierre Michon face aux héros de Sylvain Tesson : une bouleversante leçon de lecture et de vie ! Une expérience que je vous invite à vivre vous aussi en lisant ces deux livres.

Les « ravis de la crèche », un peu inconsciemment et les cyniques très vaniteusement disent que l’être humain est en progrès En lisant la préhistoire et l’histoire de l’homme on comprend très vite que ce qui progresse chez l’homme c’est bien davantage ce qu’il a que ce qu’il est. Ce que l’homme est semble invariable alors que ce qu’il a change constamment. « Un été avec Homère » montre que devenir humain est le combat de l’homme pour devenir ce qu’il devrait être. Erasme nous dit qu’ « on ne naît pas humain mais qu’on le devient. »

L’histoire d’Ulysse tantôt convulsive et répulsive, tantôt merveilleuse et enchantée se déroule en Grèce il y a plus de deux mille ans. « Homère est d’abord le nom d’un miracle : ce moment où l’humanité a trouvé une possibilité de fixer dans sa mémoire une réflexion sur sa condition. » Venu du passé grec l’histoire d’Ulysse est une lumière éclatante qui éclaire notre présent. « Il faudrait étudier scientifiquement les phénomènes atmosphériques, hydrographiques et géologiques qui confèrent à la lumière grecque cette immanence cette douloureuse limpidité. »   L’Iliade et l’Odyssée, sont des épopées poétiques et philosophiques qui nous interrogent sur l’humaine condition par le truchement de dieux, d’aventuriers, de guerriers, de poètes dont les voix, les actes, les mots connus aujourd’hui le seront encore demain car ils sont scellés dans le destin des hommes. « Le verbe se fait chair. Homère nous confirme avant même qu’elle n’existât que la littérature donne corps à la vie. »

L’homme est une énigme : nul n’a pu, ne peut, ni ne pourra dire pourquoi il est capable du meilleur (l’amour, la connaissance, la paix) et du pire (la haine, les guerres, les tueries.) « La [démesure] plane sur nos têtes, ombre maudite, elle nous entraîne vers la guerre. Rien ne l’entrave. Les hommes se passent le relais et se déchainent…Et si la guerre dont les foyers naissent partout autour du monde chaque jour, en Europe hier, dans le Pacifique et au Moyen-Orient aujourd’hui n’était que l’un des visages de cette même [démesure] toujours recommencée, jamais rassasiée[…] ? »

Un été avec Ulysse » est un livre qui nous fait appréhender ce que nous sommes et nous montre que nous devrions nous détourner plus souvent du miroitement artificiel des effets - je veux nommer entre autres le factuel spectaculaire dont on nous abreuve sans relâche aujourd’hui – pour nous tourner vers feu fascinant des causes profondes, ces « inaccessibles étoiles », cela si nous voulons « devenir humains » bien sûr !

Sylvain est un aventurier dont le « métier » n’est ni la philosophie ni la poésie c’est pourquoi, sans doute, il est si profondément philosophe et poète « De nos mains, non de l’indolence viendra la lumière », écrit Homère. Le parcours et les mots de Sylvain Tesson nous prouvent que, le concernant, ce constat est juste et que pour le lecteur l’injonction est judicieuse.

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LA PANTHÈRE DES NEIGES, de Sylvain TESSON

 

Né en 1972, Sylvain Tesson est à la fois écrivain, voyageur et aventurier. Il est vain de ici de chercher à savoir si c’est l’écriture qui est la cause de l’aventure et du voyage ou l’inverse. Une piste néanmoins… Il écrit : « Le mouvement féconde l’inspiration. […] Je tenais l’immobilité pour une répétition générale de la mort. Auteur d’une quarantaine de livres, prix Goncourt des lycéens et interallié en 2009 avec Les Choses humaines, prix Renaudot en 2019 avec La Panthère des neiges, Sylvain Tesson jouit  d’une grande notoriété. Il faut se méfier de la notoriété qui est parfois l’autre nom de la mode,  la mode par définition artificielle, superficielle et fugace. Ce n’est pas la notoriété de l’auteur mais la nature du livre qu’il a écrit qui doit faire parler le livre et … parler du livre !

 

La Panthère des neiges est un livre qui raconte la recherche  d’un animal mythique,  quasiment invisible. La traque se déroule au Tibet avec le photographe Vincent Munier, Marie l’amie de celui-ci, un assistant Léo et Sylvain Tesson. Le photographe montrera l’image de la panthère, l’écrivain décrira l’animal et la recherche de l’animal. L’apparition de l’animal sera un événement, en quelque sorte le clou du spectacle, auquel le lecteur assistera !  Au delà de ce qui est à voir ce livre donne aussi à penser. C’est une réflexion sur les vertus de la curiosité, de l’attention, du courage, de la patience, de l’abnégation. Une réflexion sur les vertus du désir de voir l’invisible, de saisir l’insaisissable, de connaître l’inconnaissable. Ce livre d’aventures  est donc aussi un livre de philosophie. Tous les livres devraient être ainsi, à la fois  une recherche de rêves, de réel et de sens,  même si le réel reste indicible,  même si le sens demeure inconnu et même si, malgré l’innombrable quantités de mots qu’il utilise,  l’écrivain passe sa vie à chercher le mot qui manque, le mot juste, le mot vrai, le bon mot.   

Cette recherche par Sylvain Tesson du mot et de l’animal est à mettre en regard de celle de Peter Matthiesen (1927-2014) qui, avec le zoologiste George Schaller a fait le même voyage exploratoire  en 1973 et a publié Le léopard des neiges en 1978. À la différence de Sylvain Tesson Peter Matthiesen n’a jamais vu l’animal. C’est là que le parallèle devient  intéressant car il met en lumière la valeur différente de chacun de ces deux livres. Sylvain Tesson écrit : « À qui lui demandait s’il l’avait rencontrée, Peter Matthiesen répondait : Non ! N’est-ce pas  merveilleux ? »  Ce à quoi Sylvain Tesson répond catégoriquement que ne pas trouver ce que l’on cherche est tout sauf merveilleux et qu’on ne peut jamais s se réjouir d’une déconvenue.  Le mot déconvenue est ici inapproprié. En effet, aucune déception n’est possible quand le voyage importe plus que le départ et l’arrivée et qu’il n’y a point d’attente. Chez Tesson le bonheur c’est la contemplation de  l’animal, chez Matthiesen  c’est la contemplation sans l’animal.

 

Lire La Panthère des Neiges de Sylvain Tesson, c’est bien ! Lire la Panthère des neiges ET Le Léopard  des neiges* de Peter Matthiesen,  c’est mieux !!!  * Voir la fiche Le Léopard  des neiges de Peter Matthiesen.

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Tzvetan TODOROV, LA LITTÉRATURE EN PÉRIL, essai

Tzvetan Todorov porte un beau nom qui par les temps qui courent symbolise avec force  ce que doit être la France polymorphe, polychrome, la France qui a assez de cœur et d’intelligence pour  faire la synthèse des cultures d’origines diverses et  faire vivre ainsi l’unité de sa propre civilisation ! Tzvetan Todorov (1939-2017) d’origine bulgare est un sémiologue, historien des idées et critique littéraire français. Chercheur au CNRS (1968-2005) et directeur honoraire de recherches de 2005 à 2017.

Tzvetan Todorov montre que la disparition de la littérature ou sa dilution dans une écriture non littéraire nous condamnerait à perdre un moyen indispensable voire  irremplaçable pour vivre mieux. Peut-on vivre sans lire ? D’une manière ou d’une autre, chacun  retrouve la lecture sur son chemin de vie. Voici ce qu’écrit Tzvetan Todorov « […] le champ de la littérature champ s’est élargi pour moi puisqu’il incluait maintenant à côté des poèmes, romans, nouvelles et œuvres dramatiques , le vaste domaine de l’écriture narrative destinée à usage public ou personnel, l’essai, la réflexion. » Et plus loin « Plus dense, plus éloquente que la vie quotidienne mais non radicalement différente la littérature élargit notre univers et nous incite à imaginer d’autres manières de le concevoir et de l’organiser. Nous sommes tous faits de ce que nous donnent les autres […] Loin d’être un simple agrément, une distraction réservée aux personnes éduquées, elles permet à chacun de mieux répondre à sa vocation d’être humain »Lire un livre nécessite une « approche interne » (étude des éléments de l’œuvre entre eux) […] et une approche externe ! étude du contexte historique, idéologique, esthétique) » Cette nécessité de connaître et de reconnaître les causes du livre dans les « forces sociales politiques, ethniques, psychiques » ne doit pas briser l’élan de la lecture ni  polluer le plaisir de lire. Lire c’est lire avec lucidité en ayant conscience que le livre nous  ramifie au réel et nous ouvre souvent sur plus de  questions que de réponses, sur plus de doutes que de certitudes.

Tzvetan Todorov met en évidence trois tendances littéraires qui ont traversé l’histoire de la littérature et qui l’influent encore aujourd’hui.

Le formalisme privilégie la « construction ingénieuse, les procédés mécaniques d’engendrement du texte, les symétries, les échos, les clins d’œil. »

Le nihilisme développe l’idée que « les hommes sont bêtes et méchants, les destructions et les violences disent la vérité de la condition humaine, et la vie est l’avènement d’un désastre.»

Le solipsisme, autre nom du nombrilisme et du narcissisme. « […] une attitude complaisante et narcissique amène l’auteur à décrire par le menu ses moindres émois, ses plus insignifiantes expériences sexuelles, ses réminiscences les plus futiles : autant le monde est répugnant autant le soi est fascinant. »

Il n’y a pas que la littérature qui « aide à mieux vivre » et qui conduit à la sagesse. Il y a aussi les arts (la peinture, la photographie, la sculpture, la musique, etc.), les sciences (sciences dures et sciences sociales) l’histoire, la philosophie … mais aussi … le sport, la marche, la cuisine, le bricolage, le jardinage !!! Ce n’est pas l’activité en tant que telle qui compte mais bien le contenu d’humanité que chacun lui donne.

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FRONTIÈRES d’Olivier WEBER, récit de voyage

 

Olivier Weber, né en 1958. Grand reporter, correspondant de guerre diplomate et écrivain. Après des études d’économie, d’anthropologie, d’ethnologie et de droit il parcourt le monde et consacre son travail à la géopolitique, principalement en Asie, en Afrique, en Orient. Son approche des problèmes du monde est moins celle d’un théoricien que celle d’un grand voyageur humaniste.  

Il est impossible de rapporter ici la multitude d’événements rapportés par Olivier Weber de toutes les frontières qu’il a explorées : Iran, Irak, Afghanistan, Pakistan, Inde, Amazonie, Caucase, Tanger, Suriname, Brésil, Guyane, Bavière, Italie, France… L’auteur nous pose la question du sens des frontières. Sont-elles la cause ou la conséquence des conflits ? Si c’est la cause il faut les gommer toutes, si c’est la conséquence il faut les repenser pour en faire des barrages contre le mal et des passages pour le bien.

Le tracé des frontières

Les frontières sont déterminées de façon arbitraire « au gré des cartographes, ici un bout de rivière, là un peuple coupé en deux, plus loin une ethnie que l’on prive de ses cousins, un désert sabré au pointillé et tant pis pour les oasis de la concorde. […] Les puissances coloniales se partagent une partie du globe à la louche. […] Les peuples sont séparés sur la volonté des lointaines capitales. » « Il s’agit juste d’ouvrir les frontières non de les abolir, pour les refugiés, migrants afin de venir en aide aux demandeurs d’asile et militants prodémocratie, et non pas aux dictateurs. »

Parcourir les frontières

Olivier Weber écrit : « On revient un peu chamboulé par le périple aux frontières. Les franchir clandestinement fût-ce à rebours des migrants ne laisse pas indemne. […] J’ai parcouru cet atlas alambiqué en tous sens et j’ai erré sur les sentiers des rebellions qui sont aussi les pistes de la contrebande […] J’ai voulu aussi suivre les marcheurs permanents, ces briseurs de frontière et sauteurs de murs. Les frontières ont beau être surveillées, contrôlées, minées défendues par maint gabelous, policiers et soldats en arme, voire des miliciens, elles ne seront jamais hermétiques. »

Poésie des frontières

L’auteur nous parle d’une découverte étonnante de l’écrivain Bruce Chatwin : « En guise de repérage cadastral et de dessins frontaliers, les Aborigènes délimitent les terres et s’approprient les collines par le chant. Veut-on un sentier, on chante. Désire-t-on un vallon, on fredonne. Et l’écho s’en va ainsi, de bosses en mottes, de rocher en dénivelé, pour créer un atlas invisible, un portulan des lieux repérés par l’humain. »

Tous ceux qui font l’apologie des frontières doivent se demander s’il est préférable de se repérer en chantant tranquillement dans les collines paisibles ou en errant, mutique et terrorisé, dans les champs de mine. 

 

Lire ce livre c’est s’interroger sur la sempiternelle question du lien entre ceux qu’on nomme les autochtones et ceux qu’on nomme les étrangers, entre ceux qui vivent en sédentaires à l’intérieur de leurs frontières et ceux qui, nomades de gré ou de force, les franchissent et, souvent sans le vouloir,  bousculent les habitudes de voir et de penser de ceux chez qui ils arrivent.   

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LA VIE SECRÈTE DES ANIMAUX de Peter WOHLEBEN

Peter Wohlleben est forestier. Il dirige une forêt écologique.

 

La vie secrète des animaux et La vie secrète des arbres présentés précédemment sont deux livres complémentaires. Mon introduction et ma conclusion seront les mêmes… 

 

Tous les êtres vivants sans exception, végétaux et animaux,  se concurrencent, se combattent, s’entretuent et s’entredévorent.  On ne comprend ni comment ni pourquoi des êtres vivants sont dans la nécessité  de tuer et manger d’autres êtres vivants pour survivre.  C’est une malédiction et une absurdité.

 

Il ne faut pas se tromper sur la nature de ce livre. Ce n’est  ni un ouvrage scientifique  ni un conte angélique à tendance anthropomorphique à la Walt Disney. Il ne s’agit pas d’humaniser les animaux mais de les considérer pour ce qu’ils sont : non  comme  des choses inertes mais comme  des êtres vivants à part entière, différents des humains certes, mais eux aussi doués de sensibilité et d’intelligence.

En une quarantaine  de chapitres organisés autour d’exemples précis (chacun sait qu’un exemple n’est pas une preuve : un exemple montre mais ne démontre pas) l’auteur donc montre sans démontrer que les animaux ont une forme d’intelligence, de conscience, de sensibilité, qu’ils peuvent éprouver de la souffrance, du bonheur, du plaisir, du désir, et aussi de  la compassion, de la solidarité, de la gratitude et même de l’amour.

L’homme qui s’est autoproclamé roi du monde a instauré, pour son propre compte, un régime monarchique absolu où tous les autres vivants sont ses sujets soumis voire ses esclaves. Ce livre l’interroge    sur cette relation de domination  qu’il a instauré depuis son origine  et sur l’évolution possible de cette relation en fonction des connaissances nouvelles qu’au fil des années il acquiert sur la psychologie et l’intelligence des animaux.

 

« Pourquoi y-a-t-il une telle résistance de la part de certains scientifiques mais surtout des politiques [… ] quand il est question de la capacité des créatures qui nous entourent à ressentir le bonheur et la souffrance? C’est qu’il s’agit le plus souvent de ménager l’élevage industriel en autorisant des méthodes bon marché telles celles qui consiste à castrer les porcelets sans anesthésie »

  « Le refus d’accorder autant d’émotions aux animaux reposent toujours, me semble-t-il sur la crainte de voir l’homme perdre sa position privilégiée. Pire encore : exploiter les animaux deviendraient autrement plus compliqué. [… ]Songeons un instant aux cochons si sensibles qui éduquant leurs petits et les aident ensuite  à élever leur propre progéniture qui répondent à leur nom et réussissent le test du miroir et considérons parallèlement les quelques deux-cent-cinquante millions  d’abattages qui ont  lieu chaque année en Europe  (sans compter les autres espèces) cela fait froid dans le dos. »

 

Livre absolument indispensable pour tous ceux et celles qui savent que mieux connaître et comprendre les animaux c’est mieux connaître et comprendre la vie, que mieux connaître et comprendre la vie c’est mieux vivre avec les autres… tous les autres … qu’ils soient  végétaux,  animaux ou  humains.

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LA VIE SECRÈTE DES ARBRES de Peter WOHLEBEN

Peter Wohlleben est forestier. Il dirige une forêt écologique. Ce livre est un best-seller traduit en 32 langues

 

Malédiction de la nature et absurdité : tous les êtres vivants sans exception, végétaux et animaux,  se concurrencent, se combattent, s’entretuent et s’entredévorent.  On ne comprend ni comment ni pourquoi des êtres vivants sont dans la nécessité  de tuer et manger d’autres êtres vivants pour survivre. 

En France, depuis 2015, les animaux ne sont plus considérés comme des choses mais comme des « êtres vivants doués de sensibilité ». Aujourd’hui, on fait des recherches sur « l’intelligence » des végétaux et sur ce qu’ils ressentent. Les végétaux n’ont ni morale ni cerveau et pourtant leur comportement témoigne d’une certaine sensibilité et d’une évidente capacité à s’adapter aux situations les plus diverses. Chaque arbre est un point d’interrogation sur le mystère de la vie et de la nature.  Chaque arbre nous interroge sur la place que l’homme occupe et sur le rôle qu’il joue dans la nature.

En quelques chapitres courts, incisifs, argumentés « La vie secrète des arbres » apporte un certain nombre de réponses  aux questions qu’on doit se poser sur la vie des arbres et donc sur notre propre vie. Voici quelques-unes de  ces réponses… 

Les arbres sont des êtres vivants.  

Ils ne pensent pas mais ils ressentent.   

Ils communiquent entre eux.

«  Quand les capacités cognitives des végétaux seront connues, quand leur vie sensorielle et leurs besoins  seront reconnus notre façon de considérer les plantes évoluera. »

Les arbres vivent en réseau dans l’immensité des arabesques entremêlés de leurs racines.

Ils sont égocentrés mais ils peuvent  faire preuve de solidarité.

Les arbres les plus vieux sont les plus forts et les plus utiles à la vie.

Les arbres sont les garants de la biodiversité. « Une poignée de terre forestière contient plus d’organismes vivants  qu’il y a d’humains sur la terre. »

Ils sont les poumons de la terre : privée d’arbres, la terre mourrait d’asphyxie.

Leur rythme de vie n’est pas celui des humains : ils sont bien plus  lents mais vivent bien plus longtemps qu’eux.

La forêt est un milieu apaisant protecteur et donc à protéger

Les forêts ne sont pas des usines à bois mais des lieux de vie pour des milliers d’espèces. Se priver de ces lieux de vie serait suicidaire. « Nous devons veiller à ne pas puiser dans l’écosystème forestier au-delà de la nécessité et nous devons traiter les arbres comme nous traitons les animaux en leur évitant des souffrances inutiles. « 

Livre absolument indispensable pour tous ceux et celles qui savent que mieux connaître et comprendre les arbres c’est mieux connaître et comprendre la vie, que mieux connaître et comprendre la vie c’est mieux vivre avec les autres… tous les autres … qu’ils soient des végétaux, des animaux ou des humains.

 

D’autres livres  sur le sujet … Penser comme un arbre de J. Tassin À la découverte de la France sauvage de A. Persuy. Nos forêts en danger de A. C. Rameau.

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LE JOUEUR D’ECHECS de Stéfan ZWEIG

 

Stefan Zweig (1881-1942).  Autrichien, il fuit l’Autriche menacée par le nazisme en 1934. Il se réfugie  en Angleterre, aux USA puis au Brésil où il se suicide avec sa femme en 1942. Profondément humaniste il excelle dans toutes formes d’écriture avec une prédilection pour la nouvelle.  Les traducteurs écrivent p 23 « Stéfan Zweig […] a tout réussi : sa vie, sa mort et sa survie. »

Cette nouvelle nous enseigne plusieurs choses sur le jeu en général et ici sur le jeu d’échec en particulier. 

Il  nous distrait de la vraie vie et peut nous en soustraire. 

Il peut devenir une addiction.

Il peut devenir un spectacle dont les acteurs sont payés en fonction du nombre de spectateurs qu’ils rassemblent.

« Il lui suffit de déplacer quelques pièces sur une planche en bois pour gagner soudain plus en une semaine qu’on ne fait dans tout son village natal pendant douze mois. »

L’intelligence requise pour jouer aux échecs peut être une fin en soi. Dans ce cas elle est inutilisable pour autre chose que pour le jeu d’échec.

À l’inverse si l’intelligence est un outil,  la travailler en jouant aux échecs peut la rendre exploitable et bien plus performante  dans la vie réelle.

Il n’y a pas de mérite à avoir du talent mais il y en a énormément quand on fait fructifier le talent, même minime, par le travail et l’entrainement acharnés.

L’enfermement (le confinement pour utiliser un mot de saison)  que ce soit dans une chambre ou dans une monomanie peut faire perdre la raison.

« Quand  on a été en proie à une manie il y a toujours un danger  et après un empoisonnement par les échecs  - même tout à fait guéri il vaut mieux ne pas s’approcher d’un échiquier. »

 

Nous avons ici deux types d’enfermement dans le jeu et donc deux types de joueur d’échec.

Un des joueurs est inculte. Indifférent au monde qui l’entoure il ne le connaît pas et ne veut pas le connaître. 

« N’est-ce-pas bigrement facile au fond de se  prendre pour un grand homme  lorsque l’on n’a jamais entendu parler de l’existence d’un Rembrandt, d’un Beethoven, d’un Dante. » Il ne  fait fonctionner son intelligence que pour le jeu, la gloire et l’argent.

 

L’autre joueur, au contraire ayant vécu un drame terrible  proche de l’anéantissement a su se reconstruire grâce au jeu en faisant fonctionner son intelligence à plein régime pour le jeu et pour la vie. Le jeu d’échec lui  a permis de reprendre pied dans la réalité et de revivre.

 

Ce livre est à lire par tous les joueurs d’échec bien sûr mais aussi par tous ceux qui jouent à autre chose qu’aux échecs, que ce soit à la belote, à la pétanque, au tennis, au foot, etc.

Il nous fait comprendre que le jeu, quel qu’il soit, est un formidable moyen de distraction, de développement personnel et de relations sociales à condition bien sûr de ne pas se couper du réel et de se servir de son intelligence bien au-delà du jeu.  

Et cerise sur le gâteau … il y a un suspens dans ce livre … On veut savoir qui va gagner la partie… 

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